Le metteur en scène suisse clôt son triptyque consacré aux mythes antiques en déplaçant le lieu de la tragédie de Sophocle en Amazonie, reliant ainsi la révolte individuelle d’Antigone à celle, collective, des militant·es du Mouvement des sans-terre brésilien.
Défenseur d’un théâtre de la réparation sociétale apte à s’immerger dans le réel des conflits contemporains, Milo Rau estime que “là où la politique échoue, seul l’art peut aider”. S’associant au Mouvement des sans-terre du Brésil (MST), le metteur en scène suisse allemand et la troupe du NTGent proposent une relecture d’Antigone de Sophocle au diapason des luttes de celles et ceux qui se battent pour une réforme agraire depuis 1980 et dénoncent aujourd’hui une agro-industrie responsable de la déforestation en Amazonie. “Je pense que ce n’est pas une coïncidence si la proposition d’Antigone est venue d’eux : en raison de deux éléments centraux de la pièce, la question de la terre et de la lutte contre un État dictatorial. Quand nous avons commencé le projet, Jair Bolsonaro était encore au pouvoir.”
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La tragédie de Sophocle rend justice à Antigone quand elle s’oppose à la loi du roi Créon en procédant malgré l’interdiction aux funérailles de son frère Polynice. Véritable plaidoyer pour la désobéissance civile, la pièce s’accorde aux combats contemporains. En écho à la guerre fratricide qui précède le récit d’Antigone, Milo Rau reconstitue in situ l’occupation de la Transamazonienne qui s’était déroulée le 17 avril 1996. Réprimée dans le sang, la manifestation s’achève par un massacre : on dénombre 21 morts, 69 blessé·es et 15 invalides.
Kay Sara, une Antigone bouleversante
Milo Rau réunit des membres du MST, des activistes autochtones et des acteur·rices, brésilien·nes et européen·nes. L’occasion d’une performance bouleversante de l’activiste Kay Sara, la première comédienne indigène à incarner le rôle d’Antigone. Autre moment fort de cette création, le rôle du devin Tirésias est confié au philosophe natif brésilien Ailton Krenak, auteur du pamphlet Idées pour retarder la fin du monde. Autant de scènes-clés constituant la matière d’un documentaire projeté sur grand écran. En mêlant le cinéma et le théâtre, le metteur en scène mixe deux temporalités en une seule. La représentation se construit avec brio dans un dialogue où les plans filmés au Brésil renvoient au jeu de quatre interprètes du NTGent présent·es sur le plateau.
Après Orestes in Mosul (Oreste à Mossoul) créé dans la ville martyre de l’ancienne “capitale” de l’État islamique en 2019 et The New Gospel (Le Nouvel Évangile) questionnant en 2020 le message du Christ dans les camps de réfugié·es du sud de l’Italie, Milo Rau clôt son triptyque consacré aux mythes antiques avec Antigone in the Amazon (Antigone en Amazonie). La renaissance salutaire d’un théâtre politique qui s’arrime au passé pour rendre compte des luttes à mener au présent.
Antigone in the Amazon, conception et mise en scène Milo Rau (en anglais, portugais, tucano, flamand et français surtitré en français et en anglais), avec Frederico Araujo, Pablo Casella, Sara De Bosschere, Arne De Tremerie et en vidéo Gracinha Donato, Ailton Krenak, Célia Maracajá, Kay Sara, le chœur des militantes et militants du MST au Festival d’Avignon, L’Autre Scène du Grand Avignon-Vedène, du 16 au 24 juillet (relâche le 20).
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