2020 restera une catastrophe pour le monde de la scène qui, malgré tout, n’aura cessé de résister et nous aura subjugué·es par sa force créatrice et la beauté de ses propositions.
Cap au pire, aurait dit Beckett s’il avait signé le bilan scènes de l’année. Elle avait si bien commencé… Des Contes et Légendes de Joël Pommerat à Un conte de Noël de Julie Deliquet, en passant par une Ménagerie de verre où Isabelle Huppert brillait sous la direction d’Ivo van Hove, tout présageait une saison haute en couleur. Las… Le spectacle vivant a pris de plein fouet les conséquences du confinement et la fermeture des théâtres qui mit fin prématurément à toutes les créations attendues. Jusqu’au Festival d’Avignon qui, après une présentation à la presse en visioconférence donnée en avril dernier, dut annuler sa 74e édition.
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Sans qu’on ait jamais prouvé que nos salles soient à l’origine d’un quelconque cluster, il est tentant d’ironiser sur le retour à des enfermements d’un autre temps, au regard des consignes imposées par la gestion de l’épidémie de Covid-19. Il suffit de se souvenir du célèbre slogan de 68, dénonçant des vies réduites à la trilogie “métro, boulot, dodo”, pour qualifier l’inquiétant retour de bâton qui a plombé nos existences en excluant le spectacle vivant des denrées nécessaires à la bonne marche de la société. Confinement, couvre-feu et reconfinement ont été un calvaire pour les artistes, la casse a pris les dimensions d’une catastrophe industrielle que chacun·e a pu constater.
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Pour la plupart des directeur·trices de théâtre, l’année s’est déroulée devant un écran d’ordinateur à gérer les reports de spectacles, aménagements d’horaires, et à organiser la venue du public à partir du mois de septembre en tenant compte des contraintes de la distanciation.
Passer entre les gouttes des confinements successifs est devenu un sport collectif
Pourtant, malgré cette cascade d’épreuves, les institutions n’ont cessé de se réinventer pour s’adapter à des règles changeant sans préavis. Passer entre les gouttes des confinements successifs est devenu un sport collectif pour celles et ceux qui ont conservé leur programmation et permis que le festival FAB se tienne à Bordeaux, qu’Actoral fête ses 20 ans à Marseille tandis que le Festival d’Automne à Paris maintenait ses spectacles dès qu’une fenêtre de tir s’avérait possible. Autre exemple de résilience, le Festival d’Avignon, qui a inventé une bien nommée Semaine d’art en octobre, renouant avec le prototype du festival imaginé par Jean Vilar en 1947.
Créer à tout prix, même sans la certitude de jouer devant un public, fut la politique de tous·tes. Ainsi, avant d’être contraints à baisser le rideau, Christophe Honoré et la troupe de la Comédie-Française nous ont réjoui·es avec l’humour cruel de leur Côté de Guermantes d’après Marcel Proust, tout comme Arthur Nauzyciel montant avec brio Mes frères, l’inquiétant conte féministe de Pascal Rambert. Signe des temps, beaucoup usent d’internet comme d’une planche de salut.
Un constat réjouissant au milieu de la déprime ambiante
Arthur Nauzyciel a choisi d’user de l’appli Zoom pour réinventer Splendid’s de Genet sur le web, Marion Siéfert mêle le live et Instagram pour _jeanne_dark_, tandis que Raphaël Pichon et Jeanne Candel ont sauvé le travail d’une équipe grâce à la captation, visible en streaming sur le site d’Arte, de leur magnifique Hippolyte et Aricie de Rameau. Et surtout, dès la réouverture des théâtres fin juin, le public a répondu présent. Un constat réjouissant au milieu de la déprime ambiante.
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Paradoxe du confinement, la danse, absente des scènes une partie de cette année, s’est infiltrée partout ailleurs. Au cinéma comme sur les plateformes, de Lil Buck à Merce Cunningham sur grand écran, sans oublier Move, série déclinée sur Netflix. Dans la littérature également, de Chavirer de Lola Lafon à La Révolution, la danse et moi d’Alma Guillermoprieto. La mode n’est pas en reste, entre défilé et publicité mis en scène par Damien Jalet, Sharon Eyal ou (LA)HORDE. Enfin, internet aura été la rampe de lancement de jeunes artistes comme Olivia Lindon ou le phénomène Mehdi Kerkouche – ce dernier s’est retrouvé à travailler en novembre avec le Ballet de l’Opéra de Paris.
Pourtant, le vivant d’une représentation aura fait cruellement défaut, de saisons amputées en festivals décalés. Le bonheur n’aura été que plus grand d’assister à la confrontation d’Akaji Maro et François Chaignaud, d’Israel Galván et Niño de Elche ou de Raimund Hoghe avec de jeunes interprètes de Montpellier ou du Portugal. En regard de ces rendez-vous, il y a toutes ces créations en suspens portant la marque de Jan Martens ou Alain Platel. Un crève-cœur, donc. 2021 ne sera pas de tout repos, entre embouteillage de spectacles et crise économique latente. Une chose est sûre : ce monde, d’avant ou d’après, qu’importe, a besoin de spectacles.
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