Outre une grande rétrospective consacrée à cette figure majeure de la danse postmoderne américaine, la 31e édition du festival présente plusieurs pièces marquantes, dont la création “White Dog” de Latifa Laâbissi.
Se déroulant sur plus de trois semaines en août dans divers lieux de Berlin, avec le complexe théâtral HAU-Hebbel Am Ufer comme pôle central, le Tanz im August constitue l’un des deux grands rendez-vous estivaux consacrés à la danse contemporaine dans l’espace germanophone – l’autre étant ImpulsTanz à Vienne. Mû par la volonté de donner à voir de multiples formes d’expression chorégraphique et de faire découvrir des figures montantes, le festival offre un aperçu étendu de la scène actuelle. Dans une perspective historique plus large, il s’attache à mettre en valeur le patrimoine de la danse, suscitant ainsi un dialogue fécond entre passé et présent.
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De nouveau concoctée par la Finlandaise Virve Sutinen, directrice artistique du Tanz im August depuis 2014, la programmation de cette édition 2019 s’avère très substantielle. Elle se distingue tout d’abord par une grande rétrospective dédiée à Deborah Hay, figure majeure de la danse postmoderne américaine. Ayant pris part à l’aventure fondamentale du Judson Dance Theater au début des années 1960, aux côtés notamment de Lucinda Childs, Trisha Brown et Meredith Monk, Deborah Hay – âgée de 78 ans – est toujours en activité aujourd’hui.
Une tension de l’épure
Embrassant un cheminement créateur long de plus d’un demi-siècle, cette rétrospective berlinoise a démarré avec deux nouvelles créations : Animals on the Beach, pièce pour cinq danseurs, et my choreographed body… revisited, un court solo réflexif dans lequel Deborah Hay – se mettant elle-même en scène – retraverse sa pratique chorégraphique.
De son corpus a également été extrait The Man Who Grew Common in Wisdom, un solo d’environ une heure, divisé en trois parties (The Navigator, The Gardener, The Aviator). A chaque partie correspondent une (minimaliste) composition originale de la musicienne américaine Ellen Fullman et une tonalité particulière. Tendu vers l’épure, sans décor, toute l’attention se focalisant sur les mouvements et les sons, l’ensemble de la pièce oscille de manière éminemment singulière entre gravité et légèreté, inquiétude et insouciance. La fin, qui bascule lentement au bord du gouffre horrifique, dans un troublant face-à-face direct avec le public, est d’une très grande intensité. Interprète originelle de cette saisissante variation sur la sagesse, Deborah Hay la transmet ici à la jeune danseuse et chorégraphe suédoise Eva Mohn, qui livre une prestation remarquable.
Pendant toute la durée du festival, l’on peut par ailleurs entrer dans l’univers de Deborah Hay via Perception Unfolds : Looking at Deborah Hay’s Dance, une installation multimédia réalisée par Eric Gould Bear et Rachel Strickland avec la collaboration artistique de la chorégraphe américaine. Invités à s’immerger dans un dispositif sophistiqué à quatre écrans translucides, sur lesquels sont projetés différents fragments d’un même solo (No Time to Fly), les visiteurs peuvent varier à l’envi les approches et traverser la danse à l’écran autant que se laisser traverser par elle.
White Dog a fait forte impression
En dehors de la rétrospective Deborah Hay, plusieurs pièces se détachent de ce 31e Tanz im August. C’est le cas de The Wonderful and the Ordinary, pièce joliment hybride – entre théâtre, danse et vidéo – et subtilement drolatique autour de la (fragilité de) la mémoire, conçue par la chorégraphe suédoise Gunilla Heilborn et la compagnie autrichienne Theater im Bahnhof.
Citons également Kata de la chorégraphe française Anne Nguyen, représentante importante de la constellation hip-hop. Empruntant au langage des arts martiaux autant qu’à celui des danses urbaines (en particulier le breakdance), Kata prend la forme d’un haletant ballet syncopé, orchestré au cordeau et porté par huit excellents interprètes. A la fois énergique et ascétique, la pièce emporte de bout en bout et ne cède presque jamais à la tentation de la virtuosité démonstrative.
Une autre chorégraphe française, en l’occurrence Latifa Laâbissi, a fait encore plus forte impression avec White Dog, sa nouvelle création. Dans un décor très original, évoquant un paysage d’outre-monde (ou d’une autre planète), un quatuor improbable tisse d’étranges liens et, visages et corps (dis) tordus, s’adonne à des rites énigmatiques. Quelque part entre danse des spectres et carnaval des fous, scandé par une superbe création sonore de Manuel Coursin, le résultat est aussi détonant que subjuguant.
Tanz im August, jusqu’au 31 août à Berlin
White Dog du 9 au 12 octobre à Paris, Centre Pompidou (Festival d’Automne)
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