Onéguine quitte la ville pour le calme de la campagne, mais se retrouve au cœur d’un marivaudage cruel. Théâtral autant que musical, le dispositif imaginé par Jean Bellorini offre une expérience intime de l’œuvre de Pouchkine.
Sans doute la puissance de la poésie tient-elle dans sa capacité à supplanter toute règle tout en faisant mine de s’y plier. A user du langage pour mieux en abuser, s’en jouer, le détourner, le faire chanter à tous les sens du terme. Alors Jean Bellorini, s’emparant du plus célèbre poème d’Alexandre Pouchkine, Eugène Onéguine, allègrement traduit par André Markowicz, fait de même avec l’idée qu’on se fait d’un spectacle de théâtre.
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Dans son Onéguine, il y a bien des acteurs et un public, une scène quadri-frontale, mais ce dispositif sied tout autant à une salle de théâtre qu’à n’importe quel autre lieu qui voudrait l’accueillir. Un théâtre à visée itinérante.
Une pièce augmentée
Ce n’est pas tout, acteurs et spectateurs écoutent ce qu’ils voient à quelques centimètres d’eux, à travers un casque. Et donc, un peu plus que ce qu’ils voient. Car, à travers le casque, l’on entend aussi bien crisser la neige, souffler le vent, sauter les bouchons de champagne ou murmurer les voix des interprètes.
On y entend aussi la musique composée par Sébastien Trouvé, inspirée par l’opéra homonyme de Piotr Tchaïkovski. Tout se fait sous nos yeux, mais tout est augmenté par le truchement de ce casque qui est comme un tremplin pour plonger directement dans l’atmosphère de ce récit qui suit Onéguine depuis son départ de Moscou pour un domaine hérité de son oncle dans la campagne russe.
Quittant sans regrets le faste illusoire de la vie mondaine, il goûte d’abord à la solitude et puis rencontre un jeune poète, Lenski, et d’amitié se lie. Lenski aime Olga, Onéguine rencontre sa sœur, Tatiana. L’une est douce et charmante, l’autre sombre et lointaine. Le rêve d’évasion tourne aux sombres tourments.
Poème de chair
Le spleen et le drame saccagent l’amitié et font mourir l’amour. C’est une éducation sentimentale mâtinée d’âme slave résumée en un vers : “L’amour ronge sans rassasier.” C’est aussi une remarquable étude sur la jeunesse que l’on croit posséder quand c’est elle qui nous mène, nous perd ou nous retrouve, portée avec amusement et complicité par les jeunes acteurs de Jean Bellorini, à l’image d’Onéguine, “impatient de vivre et pressé de sentir”.
D’où le refus de la mélancolie distillé dans ces vers : “Mais il est triste de se dire/Qu’en vain jeunesse fut donnée/Qu’on l’a trahie comme on respire/Et que c’est nous qu’elle a bernés/Que nos désirs les plus sincères/Nos rêves les plus téméraires/Se sont fanés, se sont pourris/Feuilles qu’un vent glacé charrie.”
Ce qui reste de cet Onéguine, c’est justement le pétillement d’un regard, le timbre cristallin d’un rire, la caresse d’un sourire comme autant de nuances à tout ce qu’on entend. Un poème de chair.
Onéguine d’après Eugène Onéguine d’Alexandre Pouchkine, mise en scène Jean Bellorini, avec Clément Durand, Gérôme Ferchaud, Antoine Raffalli, Matthieu Tune, Mélodie-Amy Wallet. Jusqu’au 26 mai, Théâtre de la Criée, Marseille
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