Livre-somme où l’image le dispute aux textes, l’ouvrage collectif consacré au chorégraphe, penseur et passeur qu’était Alain Buffard en impose.
Trois cent vingt pages, pas moins. Alain Buffard, Good Boy est une chorégraphie de mots et de visions, quelque part entre le souvenir et le présent. Buffard s’y fait pluriel, lui qui n’aimait rien tant que les masques. On y croise l’interprète des années 1980, l’auteur-chorégraphe des années 1990, le regardeur et le penseur. Un peu comme si l’histoire de la danse, la sienne mais pas seulement, s’imprimait sous nos yeux. Alain Buffard et ses vies, donc.
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Disparu en 2013, il laisse une œuvre et des regrets. Cet ouvrage, sous la direction de Fanny de Chaillé, Laurent Sebillotte et Cécile Zoonens, éclaire autrement ce parcours entre retrait de la scène, arrivée du sida et dialogue – comme celui avec la chorégraphe américaine Anna Halprin. Surtout, Buffard s’expose sous le regard des photographes Marc Domage et Jean-Louis Chapuis.
“C’est très fastidieux d’être toujours le même”
Good Boy, sa création de 1998, ou Les Inconsolés (2005) firent l’objet de reconstructions il y a peu, sous la houlette notamment de Matthieu Doze. On garde encore en tête cet exercice impossible, Good Boy après Buffard – c’est-à-dire sans lui –, comme révélé au Centre national de la danse dans un des petits studios de Pantin en octobre 2017. Une esthétique du peu magnifiée par Doze. Un vertige mémoriel que ce livre perpétue.
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“Le parti pris d’Alain Buffard, une approche queer mettant en jeu le sujet dansant, se présente, quant à lui, comme un choix minoritaire dont ne rend compte aucun des termes utilisés pour qualifier génériquement la danse plasticienne, la danse conceptuelle ou la non-danse”, écrit Lou Forster. Good Boy sera comme un révélateur au sens photographique du terme. Autoportrait donc d’un homme en danseur. Ou le contraire. “C’est très fastidieux d’être toujours le même”, selon l’aveu de Buffard, comme pour paraphraser Michel Foucault.
On suit l’artiste à New York ou San Francisco, passionnant jeu de pistes
Il s’attachera donc à être beaucoup d’autres au fil des pièces Dé-marche, Wall Dancin’/Wall Fuckin’ ou Mauvais Genre. Jusqu’à ce Baron Samedi en 2012, ultime chorégraphie. Les titres mêmes semblent raconter ces différents Buffard. Dans cette parution, Noémie Solomon s’intéresse au “danseur américain” qu’est Alain Buffard. “Au fil d’échanges transatlantiques – peuplés de rencontres croisées, de moments de partage et d’incompréhensions, d’indigestion et d’extériorisation de mots ou de gestes –, Buffard devient en quelque sorte étranger à lui-même.” L’exil chorégraphique est aussi un exil intérieur. On suit l’artiste à New York ou San Francisco. Passionnant jeu de pistes. Le livre se veut une sorte d’abécédaire.
On peut donc commencer par la fin, entrer et ressortir. Se perdre. “Une forme de portrait éclaté, la présentation posthume et par des tiers d’une complexité toujours vivante car toujours sujette à interprétation, toujours riche de questions non résolues, de questions posées au monde…”, résume le trio Chaillé, Sebillotte et Zoonens. Le “Baron Buffard” redevient ce qu’il a toujours été : un passeur. Capable de dialoguer avec Laurence Louppe, d’écrire sur Zurbarán ou de se mettre à nu. Le bon garçon aimait les livres. Celui-ci ne lui aurait pas déplu.
Alain Buffard, Good Boy ouvrage collectif sous la direction de Fanny de Chaillé, Laurent Sebillotte, Cécile Zoonens (CND/Les Presses du Réel), 320 p., 39 €
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