Pensée comme une collection de paroles d’architectes et d’artistes, le programme Métamorphoses, proposé par le directeur artistique d’Un été au Havre, Gaël Charbau, était organisé au Volcan ce 1er février. Y étaient partagées des expériences de projets de transformation de la ville contemporaine.
Imaginer la ville de demain, se rendre attentif à la place et à la fonction de l’art dans l’aménagement public, observer de près comment des urbanistes, architectes, designeur·euses, acteur·rices du logement social, collectifs de citoyen·nes arrivent par une multitude de gestes concrets à transformer les villes pour les rendre plus inclusives, écologiques, généreuses, ou tout simplement belles : c’est à cette nécessité politique et artistique que se livre le programme Métamorphoses proposé par Gaël Charbau, directeur artistique de la manifestation Un été au Havre, lancée en 2017 par la ville portuaire à l’occasion de ses 500 ans.
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Succédant à Jean Blaise l’an dernier à la manœuvre de cette programmation d’artistes au sein de l’espace public (dont beaucoup d’œuvres animent encore les rues, d’Erwin Wurm à Vincent Ganivet, de Stéphane Thidet à Isabelle Cornaro…), Gaël Charbau a lancé ce programme de réflexions hivernales sur la question urbaine, comme une “collection de paroles” se greffant à la “collection d’œuvres” exposées durant l’été.
Un collage en somme de deux modes d’intervention distincts, qui, mis en miroir l’un de l’autre, permettent d’appréhender nos façons d’habiter la ville d’aujourd’hui et de demain, dans un contexte de métropolisation accélérée. Les “villes-monde”, selon l’expression de Saskia Sassen, ne deviennent-elles pas de plus en plus cosmopolites, mais aussi de plus en plus ségréguées ?
Une multitude de récits
Ce 1er février, la deuxième édition de Métamorphoses a ainsi permis d’entendre au centre culturel Le Volcan une multitude de récits de la part d’acteur·rices du changement urbain, engagé·es de mille et une manières dans la transformation des villes et dans la façon d’y vivre, souvent ancrées dans le cas havrais.
Max Yvetot, directeur de l’Agence d’urbanisme Le Havre-Estuaire de la Seine, a rappelé que la ville normande est faite de paradoxes, de métamorphoses permanentes, dans sa manière d’être un port gigantesque et une ville moyenne, une ville ancienne mais aussi une ville moderne, créée au moins deux fois (en 1517 et en 1945).
L’architecte Dorothée Navarre Vatinel et le “jardiniste” Marc Vatinel ont évoqué l’inventivité du collectif Les Gens des lieux, qui met en lumière, à travers des interventions éphémères, la qualité architecturale d’espaces devenus invisibles dans la ville (un bout de jardin, dans un angle mort, une cabane près du port…). Maxence Gourdault-Montagne, engagé dans le logement social, a lui détaillé les expériences menées le long de l’axe de la Seine et au cœur du Havre pour renouveler les formes d’habitat.
L’architecte Dominique Jakob a décrit plusieurs de ses projets menés avec Brendan MacFarlane en Islande, en Belgique ou en France (à Paris et à Lyon), visant souvent à transformer de vieux quartiers industriels en quartiers écologiques.
Prôner l’échange comme valeur essentielle
Transformer la ville en réinventant des lieux, fût-ce à travers des formes temporaires : c’est ce geste que défend Nicolas Détrie, directeur énergique de Yes We Camp, association qui conçoit et gère des tiers-lieux et projets d’urbanisme transitoire depuis dix ans. Attaché à ce qu’il appelle une “intensité d’usage”, l’urbaniste militant a rappelé le nombre impressionnant d’aménagements urbains menés par l’association dans toute la France, de Paris à Marseille.
Tous·tes témoignent d’une volonté de résister aux normes de la société prédatrice, pour s’orienter vers un modèle social de “satiété”, qui prônerait l’échange, le partage, l’usage, l’intérêt collectif comme valeurs essentielles, allant jusqu’à remettre en question l’obsession de la construction, et même le droit de propriété (déjà très discuté dans le champ de la philosophie politique, à l’image des travaux de Pierre Crétois, par exemple).
Cette “bifurcation nécessaire”, que Nicolas Détrie appelait de ses vœux à partir de sa propre expérience d’acteur social de la ville contemporaine, s’imposait comme un motif central de tous les débats entendus à Métamorphoses.
Pensée de la métamorphose
Une voie de bifurcation qui conduisait même une jeune architecte, Cécile Gaudard, à présenter un passionnant projet de transformation d’une station de ski en lieu de production de fromages, pour dire combien le changement climatique oblige à repenser l’ensemble des paysages affectés, urbains et montagnards (un projet défendu par le Bureau des arts plastiques de l’Institut français d’Allemagne, piloté par Oriane Durand).
Outre les architectes et designeur·ses, les artistes vidéo témoignaient aussi de cette pensée de la métamorphose, comme l’illustrait une collection de films expérimentaux présentée par Marie-Pierre Bonniol. Par l’image, l’intervention créative et solidaire dans l’espace public, et la volonté de transformer les usages, les modes d’habitation, les échanges, la ville de demain se transformera peut-être, à condition que les acteur·rices lucides et créatif·ves de cette métamorphose espérée puissent faire suffisamment entendre leurs voix marginales. Pour qu’elle ne restent pas les voix de villes invisibles.
Un été au Havre, programme Métamorphoses (les débats sont à retrouver prochainement sur YouTube).
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