La huitième édition d’Un été au Havre propose un parcours artistique dans la ville portuaire, dominé par des gestes poétiques délicats, formalisés dans des sculptures et des installations à ciel ouvert.
Associée à la fois à une certaine poétique des ruines, un romantisme portuaire et une utopie moderniste, la ville du Havre dégage, de par son histoire et sa géographie, une attraction naturelle que tout·e flâneur·se se perdant dans ses rues et arpentant ses quais ouverts au vent ressent imperceptiblement.
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Avec la huitième édition d’Un été au Havre, pilotée par son directeur artistique Gaël Charbeau, la poésie envahit de tous côtés la ville normande en lui conférant, par des interventions d’artistes in situ, une dimension supplémentaire, comme si Le Havre convoquait cette (sainte) adresse esthétique dans son cadre urbain et mental.
Du ciel à la terre
La poésie accueillie par l’événement s’exprime d’abord de manière littérale, directe, transparente, avec les phrases en lettres lumineuses de Joël Andrianomearisoa qui s’affichent sur les façades des Bains des docks et de la Bibliothèque universitaire : “Sur la vague infinie se joue le théâtre de nos affections, Sur le crépuscule du temps se dessinent nos promesses éternelles.” Artiste plasticien mais aussi poète, comme il le démontre ici en disséminant des fragments de textes magnifiques dans plusieurs lieux de la ville, Joël Andrianomearisoa a choisi les mots pour délivrer ses propres émotions.
Décrivant son envoûtement dans “l’entre-deux de ses veines”, “dans les entre-ciels de son âme”, l’artiste s’adresse au Havre à travers des haïkus dont la beauté céleste semble protéger le·la visiteur·se dans sa déambulation, où l’imaginaire et le mystère se greffent à la matérialité brute du béton, où des rencontres fortuites se manifestent au hasard de la marche.
On croise par exemple la Lune, tombée du ciel dans un jardin, posée à la surface de l’eau d’un bassin. Au square arboré Saint-Roch, l’artiste Arthur Gosse a créé une sculpture aussi douce que géante figurant le satellite, qui “partage avec Le Havre un passé commun avec sa surface impacté de débris stellaires qui rappellent les bombardements de 1944 subis par la ville”.
Des mots écrits aux formes géométriques, du ciel à la terre, des nuages au béton, le voyage atmosphérique, ouvert à des affects quasi enfantins, à l’image de cette Lune lunaire, se prolonge dans des installations sculpturales elles aussi traversées par le goût du merveilleux.
La cabane No Reason to Move, dotée de larges pieds en bois sculpté, construite par le jeune artiste Max Coulon – comme s’il avait sculpté un personnage de conte pour enfants –, vient troubler le regard du ou de la passant·e près du bassin du Roy. Posée comme une apparition, à la fois saugrenue et évidente, au cœur du paysage architectural d’Auguste Perret, face à la nouvelle tour Alta, cette œuvre dégage une présence familière et décalée, comme celle réactivée d’une image oubliée, d’un vieux monde éternel échoué dans la normalité des villes modernes.
Pas loin, sur le triangle de pelouse qui réunit l’avenue Foch et le boulevard François 1er, Emmanuelle Ducrocq installe Entre, une série de mâts de tailles variables, en haut desquels trônent des chaises récupérées dans divers quartiers, montées sur des dispositifs rotatifs, bougeant selon les vents. À la mesure du Havre, divisée en une ville haute et une ville basse, les chaises composent dans leur chorégraphie chancelante un paysage bariolé, au cœur duquel l’imaginaire est seul capable de tisser une continuité.
Poésie et mer
Du côté des docks, Edgar Sarin joue lui aussi avec la verticalité grâce à sa sculpture en bronze patiné d’une amphore de 8 mètres de haut, Pacifique – un objet qui contenait dès l’Antiquité de nombreuses marchandises dans les flux du commerce. L’artiste a imaginé une survivance de cette forme, au cœur d’un paysage de containers contemporains, comme une manière d’inscrire la tension entre passé et présent dans la matérialité de la ville portuaire, marquée par le spectre du commerce maritime.
Un patrimoine maritime que l’illustratrice Cosmo Danchin-Hamard évoque de manière ludique avec sa série Bateaux-Bus, des reproductions de bateaux emblématiques du Havre sur 10 bus sillonnant la ville.
Cette poésie associée à l’idée du voyage et de la mer se déploie d’une autre manière, délicate, dans les interstices secrets des rues de la ville, les passages couverts que Walter Benjamin aurait peut-être aimés, qui traversent les îlots des immeubles Perret, et que le jeune artiste Josselin Desbois éclaire avec des néons bleus ; des néons dont l’intensité lumineuse dépend de la puissance du vent.
En revitalisant par la lumière artificielle ces espaces de transitions entre la rue et les logements collectifs, il donne avec Aura une vibration poétique à des espaces muets, invisibles par-delà leur usage pratique : des passages cachés secrètement réinvestis par un modeste geste lumineux. L’art, c’est aussi ce qui réveille des espaces éteints.
La sculpture prend aussi ici et là des airs plus abstraits, comme avec Épi : Stéphane Vigny a reconstitué le dernier épi en bois, censé contenir les galets, pour l’installer dans le prolongement de la promenade sur la plage. Utilisant la technique de modelage en ciment héritée des jardiniers du XIXe siècle pour imiter la nature, l’artiste crée ainsi une “sculpture-témoin”, une relique du combat permanent que l’homme mène contre la nature.
Cette abstraction poétique se retrouve également dans les pièces d’Ad Minoliti exposées aux jardins suspendus, Hôtel des oiseaux, et au centre régional d’art contemporain Le Portique, Nature Is Queer, où elle présente ses installations géométriques, qui s’inspirent de l’architecture, de l’enfance, de l’animalisme et de la fiction spéculative.
Au fil du parcours, rythmé par cette présence interstitielle de l’art dans la rue, la cité normande dévoile la variété de ses plis urbains et de ses ambiances volcaniques. Depuis le dernier étage à ciel ouvert du parking des Docks, la micro forêt urbaine installée par le collectif Sur le toit – composé d’architectes et de paysagistes havrais·es qui ont pensé leur installation architecturale comme un refuge convivial (un “espace pratiqué”) ouvert sur l’horizon de la ville –, les visiteur·ses trouveront l’abri idéal pour reprendre leur souffle et repenser à la vague infinie et aux promesses éternelles que Joël Andrianomearisoa a trouvées au Havre, ville d’un été suspendu.
Un été au Havre, dans toute la ville, jusqu’au 22 septembre.
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