Revisitée par Jean-Pierre Vincent, la pièce de Molière devient le tableau d’une France qui patauge.
Effet bœuf d’un décor s’habillant des illusions de la vidéo : on passe ainsi du fantasme de la vie dans un palais digne du château de Versailles à un bouseux pied-à-terre, la cour d’une grosse ferme délimitée par ses communs.
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S’agissant de monter George Dandin, Jean-Pierre Vincent et son scénographe, le peintre Jean-Paul Chambas, témoignent de trop d’empathie pour la farce de Molière pour réduire cette réalité de départ au signe d’une misère.
Clin d’œil à l’humour des œuvres de l’artiste italien Maurizio Cattelan, ils nous gratifient d’un geste artistique de leur cru, pour y inscrire une sculpture composée d’un vrai tas de fumier et d’un cul de vache laitière saisie à mi-corps à l’instant où elle s’apprêtait à traverser un mur…
Moquer une société à bout de souffle
Ayant fonction de métaphore, l’œuvre, en digne avatar du surréalisme, fonctionne comme un drôle de cauchemar pour illustrer la situation d’un héros piégé à mi-chemin dans sa réussite et dont la seule gloire sera de prêter son nom à cette comédie de dupes où la fraîcheur n’a d’égale que sa formidable cruauté.
George Dandin est un paysan enrichi qui espère pouvoir donner à sa lignée un titre de noblesse, en renflouant la famille d’aristocrates ruinés dont il vient d’épouser la fille. Comme la vache coincée dans son mur, le parvenu aura à peine le temps de se réjouir d’avoir mis un pied dans l’ascenseur social qu’il découvre déjà que sa femme en pince pour un autre bien mieux né que lui.
A l’époque de Louis XIV, Molière et Lully dénonçaient devant la Cour l’obscène évidence de celui qui usait d’une telle ruse pour s’anoblir. En 1668, victime idéale promise à un lynchage par le rire, George Dandin méritait sa mise au pilori, dans le double rôle du dindon de la farce et du cocu certifié.
“La France reste un vieux pays où nous pataugeons, Dandin nous saute aux yeux, nous renvoie l’image de nos comptes pas réglés, précise Jean-Pierre Vincent, qui réserve à son héros un sort beaucoup plus nuancé. A partir d’une situation bien réelle, Dandin entre pas à pas dans un monde de folie. Mais c’est la comédie entière qui est un méchant rêve. Le texte est simple et direct, mais il appelle, ou déclenche, ou permet, très vite, une foule d’images et de visions. C’est ainsi que se développera notre récit, non dans un réalisme rural, mais dans une fantasmagorie onirique.”
En s’ancrant sur une ligne de force consistant à exacerber le comportement de tous pour se moquer d’une société à bout de souffle, Jean-Pierre Vincent nous renvoie à nous-mêmes, en s’amusant de l’image d’un grouillant panier de crabes. On rit jaune au final de se rendre compte que sur cette scène, comme dans la vie, chacun n’est plus motivé que par le désir de devoir sauver sa peau.
George Dandin ou le Mari confondu de Molière, mise en scène Jean-Pierre Vincent, jusqu’au 10 mars, MC2 scène nationale, Grenoble ; du 13 au 24 mars, Théâtre des Célestins, Lyon. En tournée jusqu’au 30 mai
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