A la galerie High Art, le jeune artiste anglais Matt Copson déploie “Coming of Age” sous la forme d’un récit initiatique à la fois immémoriel et synthétique, accompagné d’une bande-son de Caroline Polachek.
L’espace a beau être plongé dans le noir, l’obscurité ne tombe jamais : elle est transpercée de rais lumineux qui, lorsqu’ils frappent les murs, les incisent de lignes acérées comme une lame. Celles-ci, en retour, teintent l’espace de halos vibratoires : cyan, magenta, bleu, vert. Les teintes empruntent aux néons pluvieux des villes cyberpunk quelque chose de leur chromie, mais c’est à la technologie laser, celle des clubs et des festivals, que l’installation de Matt Copson à la galerie High Art doit sa technique.
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Effigies de lumière
Depuis plusieurs années déjà, le jeune Anglais, né en 1992, construit chacune de ses expositions comme un théâtre de projections lumineuses. Lors de Sob Story, sa dernière exposition personnelle à la galerie en 2016, ses projections murales étaient peintes à la main. Deux années après, pour Blorange, sa seconde exposition parisienne à la Fondation Louis Vuitton, le laser s’ajoutait aux procédés narratifs lui permettant d’adapter à la sensibilité contemporaine les grandes épopées immémoriales. Son noir à lui, c’est celui-là : la nuit des temps, ourlée d’une seconde couche d’opacité, plus datable, qui voit actuellement les centres s’écrouler et les certitudes vaciller.
Alors, puisque les mythes font leur retour et que les paganismes d’antan soutiennent désormais les idéologies politiques, qu’ils ressurgissent via les forums de Reddit ou 4chan jusqu’à se retrouver brandis en symboles au Capitole, Matt Copson plonge à son tour dans cette matière vivace. Il en ranime les totems animaux en effigies de lumière. Et d’entre les murs de ses cavernes de Platon de fêtes foraines, laisse résonner leurs prosopopées ventriloques.
Avec Coming of Age, c’est encore un nouveau chapitre qui s’ouvre. Le bestiaire folklorique anthropomorphe a cédé la place à une nouvelle effigie humanoïde
Dans ses œuvres postérieures, il y eut ainsi le renard, ou Reynard, revenu d’entre les épopées médiévales pour s’incarner comme alter ego nihiliste de l’artiste (Sob Story), ou encore les rapaces (Blorange), présences menaçantes aux velléités impérialistes. A chaque fois cependant, l’artiste mettait un point d’honneur à rendre à nouveau ambiguës ces figures sans vie propre, traversant les époques et les civilisations comme autant de préfigurations des effigies de nos actuelles banques d’images.
Avec Coming of Age, c’est encore un nouveau chapitre qui s’ouvre. Le bestiaire folklorique anthropomorphe a cédé la place à une nouvelle effigie humanoïde : un poupon hydrocéphale, gonflé comme une baudruche, dont on suit le parcours de mur en mur au fil des deux salles de la galerie.
Il devra se battre
Sur une bande-son composée par la musicienne américaine Caroline Polachek, Matt Copson déploie un opéra laser en trois actes respectivement intitulés Age of Coming, Coming of Age et Of Coming Age. Soit un récit initiatique, ainsi qu’on en trouve dans les contes, qui voit le personnage se construire à mesure qu’il monte les épreuves dressées sur son chemin. On le sait, les enfants des contes et des mythes n’ont jamais le privilège de la table rase : ils·elles naissent, mais sont d’emblée parlé·es par d’autres, traversé·es d’autres mots et surtout d’autres maux. A peine font-ils·elles leurs premiers pas qu’ils·elles sont menacé·es d’être dévoré·es par des pères saturniens pour finir digéré·es par un ordre régnant effrayé par la perspective de se voir un jour supplanté.
Un tel combat constitue la charnière dramatique de ce nouvel opus : un nouveau-né affronte son double maléfique, un dieu vengeur qui le jalouse. Il devra se battre, mais son crayon, qu’il monte à califourchon, deviendra son arme, et l’instrument de sa possible libération. D’un, il deviendra plusieurs. Sa progéniture, il la dessine, et en se pluralisant, indique malgré tout la possibilité, par la création, d’un dépassement des alternatives binaires.
Rien n’est jamais acquis pour le nouveau-né artiste, pas plus que pour la jeunesse en lutte qu’il représente plus largement
Mais la création, semble nous dire la structure de la pièce projetée en boucle, relève de l’épreuve de Sisyphe, et rien n’est jamais acquis pour le nouveau-né artiste, pas plus que pour la jeunesse en lutte qu’il représente plus largement. Par l’artificialité de couleurs prélevées au code CMYK, par la bande-son perforée d’envolées vocales d’un cyber castrat sous hélium, l’ambiance générale fait l’effet d’une plongée hypnagogique dans un bain d’aspartame.
La légèreté dans l’impermanence
On pense à la Dark Euphoria, cette « sombre euphorie » qui, prophétisait l’auteur américain Bruce Sterling lors d’une conférence en 2009, constituerait la sensibilité dominante de la décennie à venir. A présent, nous y sommes, et son diagnostic posé, les productions culturelles récentes le confirment. Ainsi, Coming of Age s’accorde tout autant à la quête identitaire des adolescent·es de la série Euphoria (2019-), elle aussi vécue dans la brume irisée d’une obscurité permanente, qu’à la révolte de cet autre nouveau-né du court métrage Bébé Colère (2020) des cinéastes Caroline Poggi et Jonathan Vinel, condamné à endurer la gueule de bois des excès de ses aîné·es.
De la jeunesse, les infra-héros·oïnes de ces trois récits initiatiques conservent l’énergie volatile, tout en étant privé·es d’un sol stable où la faire fructifier
De la jeunesse, les infra-héros·oïnes de ces trois récits initiatiques conservent l’énergie volatile, tout en étant privé·es d’un sol stable où la faire fructifier. Et néanmoins, l’euphorie n’en est pas moins réelle quand bien même elle serait dark. Chez Matt Copson, c’est particulièrement vrai : il y a de l’apaisement dans l’hypersynthétique et de la grâce dans les machineries spectaculaires, de l’entrain dans le recommencement et de la légèreté dans l’impermanence.
Tout simplement, cette texture, esthétique et narrative, est autre, moins monolithique, moins binaire : puisque les enfants du Capitalocène n’ont rien connu d’autre que la contamination, leurs affects, leurs mythes, et leurs opéras sont à leur tour paradoxaux, moirés et en demi-teinte.
“Coming of Age” jusqu’au 13 février, galerie High Art, Paris
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