Après avoir adapté Ant-Man chez Marvel, Ugo Bienvenu sort “Paiement accepté », une BD de science-fiction, qui lui permet de parler de notre temps et de ses dérives.
Des loups tétant une femme nue, des volcans, des statues grecques en transe ; le tout monté sur l’electro mystico-brutale de Renart. Nous sommes en 2010, et c’est la première fois que le nom d’Ugo Bienvenu apparaît sur notre fil Youtube. Après ce clip, le dessinateur réalise – entre autres projets – une vidéo pour Jabberwocky, en compagnie de son acolyte Kevin Manach.
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Si dérangeant soit-il (et peut-être justement parce qu’il l’est), le clip remporte un vif succès. Exit le noir et blanc, place aux couleurs pop et au récit linéaire, empreint d’une violence voilée. La tendance se confirme ensuite chez Marvel avec l’adaptation de la série Ant-Man, puis chez Denoël, avec Paiement accepté. Soit une BD qui se déroule au sein d’une France futuriste, dans laquelle un cinéaste vieillissant tente de réaliser le film de ses rêves, malgré les aléas du monde et de l’industrie. Le projet a été intégralement écrit et dessiné par Ugo Bienvenu, et on retrouve donc le jeune artiste dans un café de Bastille, autour une bière aux relents de canicule.
Le complotisme, les attentats, les algorithmes, Trump… Même si son scénario se déroule dans le futur, Paiement accepté traite d’obsessions bien actuelles, finalement.
Ugo Bienvenu – C’était le but, traiter de sujets qu’on retrouve dans notre présent, tout en prenant de la distance avec eux. J’observe juste ce qui se passe autour de moi et je l’amplifie, je l’étire jusqu’à voir ce que tout ça pourrait donner à l’avenir. En fait, je crois que c’est simplement le but de la science-fiction, comme quand Philip K Dick disait que le monde serait un jour contrôlé par les entreprises. Mais il ne prenait pas position.
Il y a quand même une part d’autobiographie dans tes personnages ? Certains d’eux, Charles en tête – le personnage principal –, ont des opinions bien tranchées.
Oui, on retrouve une partie de ma personnalité dans la leur, même s’ils vivent ensuite par eux-mêmes. Charles est un vieux con qui refuse le monde dans lequel il vit. Quand on lui dit qu’on va choisir son actrice grâce à un algorithme, il refuse catégoriquement. Et ça c’est presque la réalité, puisque certaines grosses sociétés de productions américaines réécrivent aujourd’hui des scénarios grâce à des algorithmes.
Vraiment ?
Oui ! En gros, le logiciel analyse le fil du récit, la trame narrative, et modifie tout ça. Pour revenir à ce que tu disais, je me retrouve dans Charles parce que comme pour les scénarios, je trouve qu’on perd l’humain au profit de la machine. Mais je me retrouve aussi dans beaucoup de personnages bien plus progressistes et à l’aise dans leur monde.
En parlant du futur, je trouve que dans ton travail il est très difficile de définir dans quel univers on se trouve, si on est en France, à quelle époque, etc. On est dans le futur, mais il n’y a pas de machines futuristes ou ce genre de choses.
Effectivement, c’est parce que la précision m’importe peu, tant que je parle de l’être humain. La science-fiction, je l’utilise juste comme un décor pour traiter de nos obsessions à nous, nos obsessions presque ancestrales : la peur de mal faire, la peur de mourir, la peur de la maladie… Et la science-fiction, aussi, sert à amener le spectateur. Tu lui dis : “Regarde, ça va être beau et futuriste, il y a des couleurs, tu vas kiffer.” Et à partir du moment où il est en train d’apprécier le truc, tu peux lui mettre une torgnole.
Carrément ?
Oui (rires), enfin ce que je veux dire par là c’est que c’est archi intéressant de planter un décor pop, coloré, mais avec un vrai fond. Au départ, comme dans le clip de Renart, j’avais envie de faire des trucs austères et underground ; d’où le noir et blanc, en quelque sorte. Et puis je me suis dit qu’il fallait mettre de la couleur, que c’était important d’amener le spectateur à soi, mais sans perdre le fond du discours. C’est une vraie réflexion, j’ai énormément travaillé là-dessus, et j’ai fini par découvrir cette sorte de prise de judo. C’est un peu ce que je dis dans la BD, il n’y a que sa femme qui puisse faire du mal à Charles, parce que c’est un peu la seule qu’il aime. Si tu rebutes d’emblée les gens, tu les feras fuir, et ça n’aura aucun impact.
Je vois. Et puisque tu en parlais, au niveau des couleurs, qu’est ce qui t’inspire, qui t’oriente dans ton choix ?
Pas mal de choses. Au plan des traits, du dessin pur et dur, j’ai commencé par les artistes dits classiques, par le biais de mes parents, puis j’ai découvert les dessinateurs américains, les comics. Et également, j’ai pas mal vécu au Mexique et je me suis rendu compte que j’utilisais des gammes de couleurs venues de ce pays, en regardant mes photos d’enfance. Je pense que ça m’est resté, de manière inconsciente peut-être.
Et à propos, la question est peut-être bizarre, mais il y a des objets que tu préfères dessiner ?
A vrai dire, avant je me foutais totalement des objets. Je prenais ça comme quelque chose de futile, je me concentrais juste sur les personnages. Puis j’ai fini par comprendre que les choses en tant que telles étaient essentielles dans un récit ; qu’une simple voiture, une simple paire de lunettes pouvaient ancrer le spectateur dans l’histoire.
En parlant de lunettes, on retrouve une paire très spéciale à la fois dans le clip de Jabberwocky et dans ta BD.
Oui, justement, avec Kevin, on cherchait quelque chose de pop à mettre dans cette vidéo. Puis je me suis souvenu des magazines Playboy que ma mère rapportait à la maison, puisqu’elle bossait là-bas. Il y avait ces vieilles pubs d’appareils photo, avec les prismes de couleur. On en a fait ces lunettes, qu’on retrouve effectivement dans Paiement accepté.
A un moment, de la BD, un réalisateur va avoir une bonne note dans “Télédrama”, et Charles raille : « Il ne sait pas ce qui l’attend ». C’est une pique contre les médias ou il y a autre chose ?
Non, pas du tout, enfin il y a peut-être un petit tacle quelque part (sourire). Mais également, il y a toujours ce but de distordre la réalité. Là, le réalisateur en question va avoir ses 3 étoiles dans un journal qui s’appelle Teledrama, qui est évidemment un dérivé de Télérama. Par ce changement de nom, je m’amuse un peu, déjà, et ensuite j’essaie de montrer combien tout ça est futile. Les prescripteurs de tendance, aujourd’hui, ne sont pas les mêmes que ceux d’hier, ni que ceux de demain. Tout ça changera ; et puis de toute manière, avoir une bonne critique, une belle visibilité, c’est que du vent. L’essentiel ne se trouve pas là.
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