A la Collection Lambert en Avignon, Francesco Vezzoli relit l’Antiquité au prisme des blockbusters, des stars et des fards, au fil d’une rêverie iconoclaste enlevée mais un peu étouffante.
En 2013, Francesco Vezzoli est en pleins préparatifs de son exposition au MoMA PS1, à New York. Une consécration. Le fantasque Italien décide de marquer le coup. Pour projeter ses vidéos dans la cour du musée, il lui faut une église. Et pas n’importe laquelle : une église du XIXe siècle du sud de l’Italie, qu’il envisage de racheter, de faire expédier outre-Atlantique, puis de reconstruire pierre par pierre.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
De la part du plus hollywoodien des Italiens, fasciné moins par le passé que par sa mise en récit (de l’Histoire au péplum, selon la quantité de fards utilisée), le geste surprend à peine.
Lorsque sera inaugurée son exposition Teatro Romano (Théâtre romain), en 2014, ce sera cependant sans église. Les lois culturelles italiennes, découvre alors l’artiste, interdisent catégoriquement de déplacer le patrimoine hors des frontières du pays. “Ces lois n’ont pas bougé depuis près de cent ans. Elles sont en place depuis Mussolini”, souligne aujourd’hui Francesco Vezzoli alors qu’il parcourt les salles de l’exposition qu’il vient d’inaugurer à la Collection Lambert, en Avignon.
Patrimoine démembré
Et pourtant, on ne voit que ça : des statues romaines, leur tête, leur corps, leurs pieds, leur phallus, à divers états de démembrement, placés en vis-à-vis d’œuvres de la collection – Cy Twombly, Louise Lawler et Giulio Paolini, à l’étage. Le lacrime dei poeti (Les Larmes des poètes), tel est le titre d’un nouveau volet dans l’exploration de l’Antiquité que mène l’artiste depuis plusieurs années et expositions. “Pour contourner l’interdiction, j’ai acheté des sculptures antiques en salle des ventes. Ensuite, je suis intervenu dessus pour les transformer d’un geste qui m’appartient.”
Nouvelle Exposition à la @CollecLambert en #Avignon consacrée à Francesco Vezzoli et conçue comme un dialogue avec l’antiquité… Ici, Hadrian admire Antinous, leurs bustes en marbre de carrare du 17eme s. se mêlent à des oeuvres de Cy Twombly. pic.twitter.com/iLd1hrMsF2
— Claudine Colin (@ClaudineColin) March 1, 2019
Du MoMA PS1, on retrouve la série des “True Colors”, où l’artiste emploie le pigment pour rehausser une bouche, des yeux, une chevelure, des pommettes ou des ongles de pied, qui se teintent de rouge, de bleu, de blond, de brun et de chair. L’autre série présentée par l’artiste joue à la marqueterie avec les restes du passé, venant, ici, remplacer un nez manquant ; là, recomposer un corps avec la tête d’une autre sculpture. Francesco Vezzoli joue sur le registre d’une feinte fidélité au passé : auparavant, les sculptures étaient bel et bien colorisées, tout comme les restaurateurs furent autrefois bien moins scrupuleux qu’aujourd’hui.
La vérité des blockbusters
Feinte, parce que la vérité que recherche l’artiste est celle des superproductions hollywoodiennes. C’est à partir d’elles qu’il relit l’Histoire, maquillant le passé de manière à le faire correspondre à l’image qu’en donnent les blockbusters et l’esthétique “camp”. A la Collection Lambert, Vezzoli a sélectionné trois autres artistes pour leur approche non linéaire du passé. La mise en regard la plus convaincante s’établit avec son compatriote Giulio Paolini. De trente ans son aîné, celui-ci pratique depuis la fin des années 1970 un remix de références antiques comparables, sans cependant goûter du pastiche pâtissier parfois étouffant de son extravagant épigone.
Le lacrime dei poeti. Jusqu’au 10 juin Collection Lambert, Avignon
{"type":"Banniere-Basse"}