L’écrivaine et essayiste Laure Murat réagit à la réception qu’a suscitée la chronique de Christine Angot sur France Inter autour d’une pièce de théâtre.
Le 1er septembre paraissait dans Libération un article d’Ève Beauvallet intitulé : “Christine Angot vilipende une pièce de théâtre sur les violences sexuelles qu’elle n’a pas vue”. L’article faisait référence à la chronique de la romancière sur France Inter, qui évoquait la pièce Bonne nuit Cendrillon de Carolina Bianchi. Christine Angot décrivait à l’antenne le principe de la pièce : l’actrice ingère la drogue du violeur devant le public, s’endort, on lui retire alors son jean et on lui introduit une caméra dans le vagin. Elle précisait avoir seulement entendu parler de la pièce, qu’elle n’a pas vue. Elle parlait de “viol sur scène avec le consentement de la victime”, et de la jouissance du public à se repaître de ce qu’il dénonce. Mais si Christine Angot avait pris la peine de voir la pièce plutôt que d’en condamner le principe, s’insurge Ève Beauvallet, elle aurait vu tout autre chose.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Quoi ? En gros, la même chose que ce qu’elle décrit et qui, transposé dans la langue journalistique, donne ceci : “Carolina Bianchi ingère en effet – est bien obligée d’admettre la journaliste – un cocktail de puissants sédatifs, sous contrôle médical, donnant évidemment son plein consentement aux actions scénarisées qu’opère sur elle son équipe (…)”. Jusque-là, on comprend mal l’objet de l’article. Le titre suggérait déjà un flagrant délit de malhonnêteté intellectuelle, alors que Christine Angot admet d’emblée avoir seulement “entendu parler” de la pièce. Le texte dénonce ensuite une description frauduleuse, qui se révèle en réalité fidèle, jusqu’à la mention du consentement. Alors quoi ? Non, ce que Christine Angot a loupé, dans sa hâte à juger la perversité jubilatoire à spectaculariser les violences sexuelles, à les donner en pâture au public, ce sont les “espaces poétiques plus vastes qu’une simple reconstitution voyeuriste” rendus possible par “le corps endormi de l’artiste sur scène”. Voilà ce qu’il fallait dire : on ne prendra jamais assez en compte la dimension onirique de l’introduction d’un objet – et pas n’importe lequel : un œil mécanique –, dans le vagin d’une femme endormie, c’est-à-dire inconsciente, sous le regard réprobateur et fasciné du public.
“Moi, il me semble qu’il y a un devoir à s’indigner après avoir lu un article pareil”
Ce n’est pas tout. Christine Angot, en s’en tenant « à la rumeur » aurait agi, alors qu’elle se fonde en réalité sur la presse, comme un polémiste « qui s’est lui aussi intéressé au Festival d’Avignon » sans se donner la peine de se déplacer : Éric Zemmour, contempteur de Carte Noire nommée désir de Rébecca Chaillon. Christine Angot, l’auteure de L’Inceste, d’Une semaine de vacances, Un amour impossible, du Voyage dans l’Est (prix Médicis 2021) et Éric Zemmour, le défenseur de la mémoire de Pétain, le candidat d’extrême droite plusieurs fois condamné pour incitation à la haine raciale, même combat. Il fallait le trouver.
Ève Beauvallet recommande de “voir avant de s’indigner”. Moi, il me semble qu’il y a un devoir à s’indigner après avoir lu un article pareil. Mais les médias ne l’entendent pas de cette oreille. Prompts à donner des leçons de déontologie, les journalistes, plutôt que de creuser sérieusement leur sujet, préfèrent en rajouter une couche, sans s’embarrasser, par exemple, d’aller interroger Christine Angot directement. Lucile Commeaux y est ainsi allée de sa petite chronique sur France Culture, pour répéter la description du dispositif de la pièce, “au potentiel voyeuriste sans cesse corrigé par une très grande intelligence”, et éluder la scène de l’introduction de la caméra dans le vagin, euphémisé dans la langue radiophonique par cette périphrase invraisemblable : “une scène finale très difficile à caractère franchement sexuel”. En n’allant pas voir la pièce, Christine Angot ne se serait pas seulement privée de deux heures de discours très argumentés sur le viol et la performance, elle aurait loupé quoi ? L’importance de la forme (sic), ce qui est un comble pour une écrivaine.
Voilà ce qu’on appelle une superbe occasion ratée d’un vrai débat sur l’obscène au théâtre, sur la représentation des violences sexuelles, sur la scénarisation du viol, sur l’ambivalence de l’horreur et de la jouissance, sur la réception du public. Et aussi sur la solidarité de la presse.
Laure Murat vient de publier Proust, roman familial (Robert Laffont).
{"type":"Banniere-Basse"}