Les musées deviennent-ils rétrogrades ?
Un vent frileux souffle sur la France. Et la programmation artistique se calfeutre, se réfugie dans les valeurs sûres. Sûres ? Oui, car déjà jugées telles par d’autres, et déjà validées par les centres et par le canon. C’est peu dire, alors, que la rentrée artistique a rarement été aussi ennuyeuse ces dernières années. Disons-le franchement : légèrement rétrograde, du moins par effet de masse.
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Car voilà, cet automne, mois des foires, de Paris+ et d’une effervescence internationale sans pareille dans la capitale, le calendrier joue d’un étrange hasard. Et les aligne tous, ces peintres masculins, blancs et morts : Picasso, Chagall, Rothko, Modigliani. On croirait le best of des reproductions vendues pour orner les murs d’un cabinet médical. Alors oui, évidemment : un nom ne suffit jamais à préjuger du contenu d’une exposition.
Où sont les pionnier·ères ?
Certes, il est à peu près certain que la manière d’exposer ces vénérables aïeux ne peut tenir compte du siècle dans lequel nous nous trouvons. Sans parler même du choix des œuvres, où les prêts et les assurances comptent pour beaucoup, le dispositif plus léger des textes de salle, cartels, catalogue et autres outils de médiation ont après tout été pensés par des humain·es de l’époque, qui ne peuvent se tenir à l’écart d’un regard plus inclusif. Reste que l’on peut aller plus loin. On sait les institutions publiques manquent d’argent et vont devoir bientôt fermer leurs portes pour rénovation et désamiantage. Tout comme l’on ne pourrait sans doute vraiment leur lancer la pierre de miser sur des recettes sûres de cartonner, dès lors que les musées immersifs, sur le modèle de l’Atelier des Lumières, prolifèrent et ne se privent pas d’aligner les grands noms sans avoir à payer transport, assurances, et tout ce qu’implique la monstration physique.
Or l’argument ne tient pas : au Centre Pompidou, ce sont les dessins de Picasso que l’on expose, et de Chagall, les dessins, céramiques et sculptures – pas les tableaux donc, plutôt les à-côtés. Et Rothko n’est pas montré en institution publique, mais à la Fondation Louis Vuitton (du 18 octobre au 2 avril). Quant à Modigliani à l’Orangerie, précieux en diable, c’est ici le rapport avec son marchand qui tient lieu de piste thématique (jusqu’au 15 janvier). Tout ceci intervient après que les années précédentes ont précisément misé sur la redécouverte d’artistes laissé·es de côté par l’écriture d’une histoire de l’art formaliste et occidentale, réhabilitant les pionnier·ères injustement oublié·es, proposant des réhabilitations individuelles et des relectures collectives.
La question demeure : pourquoi ?
Hasard du calendrier, semi-hasard politique des pré-JO ? Il n’est pas inintéressant de garder à l’esprit un certain revirement conservateur sociétal qui concerne aussi celles et ceux que l’on soupçonnerait le moins d’une telle ambiance. Car voilà, pour la génération Z aussi, une certaine tendance est au traditionalisme – pour l’instant surtout aux États-Unis. Il y a le mouvement #tradwife, le retour en vogue du catholicisme (le podcast RedScare), et tout une frange qui, en arrière-plan, réagit à une planète qui s’embrase par la peur et le repli sur soi.
Édito initialement paru dans la newsletter Arts du 3 octobre. Pour vous abonner gratuitement aux newsletters des Inrocks, c’est ici !
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