Benoît Delbecq et David Lescot s’associent pour créer un spectacle musical vibrant et rythmé, mêlant gospel, jazz et rap, évoquant avec grâce et humour l’envers du rêve américain
Dans Mason & Dixon, Thomas Pynchon se demande si l’Amérique ne serait pas le rêve que fait la Grande-Bretagne quand elle dort. Tout ce qui est prohibé dans la vieille Europe serait autorisé dans l’espace apparemment illimité du Nouveau Monde. Déjà pour Christophe Colomb ce continent encore vierge relève du rêve éveillé, comme le révèle son témoignage énoncé par Irène Jacob en ouverture de Tout va bien en Amérique, spectacle musical de Benoît Delbecq et David Lescot – scénographié par le vidéaste Eric Vernhes. S’appuyant sur des récits de colons ayant choisi de vivre parmi les nations indiennes ainsi que sur des worksongs ou des comptes-rendus de grèves ouvrières réprimées dans le sang, évoquant l’esclavage, la ségrégation raciale, empruntant au passage les mots de poètes comme Walt Whitman ou Charles Reznikoff, cet agencement remarquablement maîtrisé entre mots et musique donne à voir une autre image de l’Amérique.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Sans temps morts, associant progressions rythmiques et construction dramatique, c’est une machine théâtrale originale qui doit beaucoup à la qualité des interprètes : les rappeurs Mike Ladd et D’ de Kabal, la chanteuse de gospel Ursuline Kairson, le guitariste et chanteur Franco Mannara, le batteur Steve Argüelles. Sans oublier la présence touchante d’Irène Jacob et celle au piano de Benoît Delbecq, chef d’orchestre de cette formation à la fois composite mais remarquablement homogène. Les mots sont énoncés, scandés, slammés ou chantés. Certains sont aussi acteurs, endossant des personnages multiples. Franco Mannara campe un crooner sicilien changeant régulièrement de veste. Irène Jacob, une fille de joie dans un bordel du Far West tiré du film de Robert Altman, John McCabe. « C’est donc vous qui voulez parler de l’Amérique », scande Mike Ladd vers la fin du spectacle. Façon de renvoyer la balle avec humour à ces Européens qui se penchent ainsi sur son pays d’origine. Le mode question-réponse est d’ailleurs un des moteurs de cette création généreuse et attachante dans sa liberté, placée sous le signe du jazz et des musiques afro-américaines. Un pari réussi à la croisée des regards et des langages correspondant à l’objectif du collectif Stratégies Obliques réunissant D’ de Kakal, Franco Mannara et Benoît Delbecq dont le projet est de décloisonner les genres.
Hugues Le Tanneur
Tout va bien en Amérique, de Benoît Delbecq et David Lescot, jusqu’au 6 avril aux Bouffes du Nord. Les 8 et 9 avril à La Filature de Mulhouse, le 19 avril à Chelles (93).
{"type":"Banniere-Basse"}