Le Théâtre de la Bastille confie ses clés pendant deux mois à l’artiste Tiago Rodrigues. Du visible (spectacles et impromptus) et de l’invisible (ateliers) pour inventer un autre rapport à la création.
Troublante coïncidence. Au moment où Tiago Rodrigues investit le Théâtre de la Bastille pour les soixante-trois jours d’Occupation Bastille, la place de la République est elle aussi occupée par le mouvement Nuit debout qui essaime partout en France. Une réplique dans le réel de ce qui est le fondement du théâtre de l’acteur, auteur et metteur en scène portugais : “Amour des textes, joie de vivre, liberté sur scène, fête.”
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Une ligne de (dé)conduite forgée au gré d’une biographie qui, enfant, lui fait découvrir le vaudeville où l’emmènent des amis de ses parents. Elève moyen au lycée puis au Conservatoire de Lisbonne, il rencontre le collectif belge tg STAN à l’été 1997. Il a 20 ans et découvre “une idée du comédien qui n’est pas un agent obéissant de la structure du spectacle, mais un artiste qui pense, prend des décisions. Cette expérience d’un collectif plutôt démocratique, de débat, d’assemblée du théâtre, m’a complètement bouleversé.”
Plusieurs années avec la compagnie belge tg STAN
Engagé l’année suivante par tg STAN pour la création de Point Blank (Platonov), il reste dans la compagnie plusieurs années. En parallèle, il écrit des scénarios pour la télévision et le cinéma : “Dans les années 1980, la deuxième chaîne de télévision publique portugaise diffusait beaucoup de programmes d’auteurs, avec des reportages qui mélangeaient la fiction et le documentaire. J’y ai travaillé pendant cinq ans et ce fut une école de pensée, avec une connexion très forte entre des phénomènes sociaux et des nouvelles d’actualités reliés par une dimension créative et fictionnelle. C’est là que j’ai développé les outils que j’utilise aujourd’hui. Quand j’écris, je mélange les documents et la fiction.”
Depuis la création de sa compagnie Mundo Perfeito en 2003, Tiago Rodrigues est l’auteur de ses spectacles. Mais tout, de l’écriture à la représentation, est conçu avec et pour ses comédiens. A l’origine de chaque spectacle, il y a des discussions dans un café et des temps de répétitions pour expérimenter. Puis s’engage le processus d’écriture : “Mon geste d’auteur dépend complètement de l’idée de collaboration.” Une collaboration qui s’étend au dialogue qu’il entretient avec les auteurs classiques, présents dans ses pièces sous la forme de personnages ; ou dans celle, “irresponsable” et insolente, de réécriture de pièces comme Antoine et Cléopâtre, minimaliste et somptueuse relecture de Shakespeare, jouée par deux danseurs, qui fut l’un des temps forts du Festival d’Avignon 2015 et sera à l’affiche du Festival d’Automne à Paris.
Il noue des liens avec le Théâtre de la Bastille dès 2001
Pour Bovary, premier acte de cette Occupation Bastille, Tiago Rodrigues s’inspire du roman de Flaubert et du procès qu’on lui intenta, en 1857, pour outrage à la morale publique et religieuse, et aux bonnes mœurs. “Je n’associe pas la grandeur des auteurs à la solennité. Je les regarde plutôt avec tendresse et complicité et je mets en avant notre rapport avec eux aujourd’hui. C’est intéressant de voir ce qui a changé ou pas dans les dynamiques de pouvoir ou les dynamiques amoureuses et intimes. Dans le procès Flaubert, deux France s’opposent : celle de Jules Senard, l’avocat de la défense, âgé et progressiste, qui a été ministre de l’Intérieur, et celle du jeune Ernest Pinard pour l’accusation, un conservateur qui va devenir ministre de l’Intérieur. Il parle du roman comme d’une maladie et dit que l’art est contagieux, dangereux. Et je pense que c’était bien l’intention de Flaubert ! Avec Bovary, ce qui m’intéresse, c’est la façon dont le désir devient politique. Au théâtre, il y a un potentiel de conspiration né de l’imagination délirante et passionnée. Cette alternative sans règle de la création artistique est troublante pour la loi, le pouvoir politique, les doctrines.”
Les liens entre Tiago Rodrigues et le Théâtre de la Bastille se nouent dès 2001 : ils sont à l’origine de cette “occupation” qui entend freiner le rythme habituel d’un théâtre où les artistes se succèdent, dans des temps trop courts pour tenter autre chose que produire des spectacles. Avec un groupe de quatre-vingt-dix personnes que Tiago Rodrigues appelle “le peuple Bastille” – des artistes français et portugais, des spectateurs et l’équipe du théâtre – sont organisés des ateliers, pendant deux mois. De cet iceberg expérimental, on verra la partie émergée, sous forme d’impromptus publics : Ce soir ne se répétera jamais. Une belle façon de réagir à la fonte des moyens de production du monde de la culture !
Occupation Bastille, par Tiago Rodrigues, du 11 avril au 12 juin Bovary du 3 au 26 mai ; Ce soir ne se répétera jamais, les 10, 17 et 24 mai ; Je t’ai vu pour la première fois au Théâtre de la Bastille du 6 au 12 juin, Théâtre de la Bastille, Paris XIe, theatre-bastille.com
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