Avec une maîtrise éblouissante, le metteur en scène signe la première intégrale jamais jouée en français du cycle d’Henry VI de Shakespeare. Une réussite qui entrera dans la légende du festival.
« Je ne suis que l’ombre de moi-même. » Dans la bouche d’un chef de guerre de la trempe de Talbot, ces mots ont de quoi surprendre. La duchesse de Bourgogne à qui il s’adresse ainsi ne manque d’ailleurs pas de le ridiculiser pour cet aveu de faiblesse. Or ce que veut dire en vérité Talbot, c’est que sans son armée, il n’est rien. Dissimulés derrière des tentures, ses soldats sont d’ailleurs prêts à intervenir. Une partie seulement de leur corps est visible, ce qui donne à la scène une tonalité comique tout en suscitant un effet de tension.
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Cette construction d’une situation parmi tant d’autres au cours d’un spectacle déployé sur dix-huit heures témoigne à la fois d’une intelligence très fine du texte de Shakespeare et d’une formidable maîtrise de la mise en scène. En montant les trois pièces qui constituent le cycle d’Henry VI, Thomas Jolly ne se contente pas de faire exister sur le plateau cinquante ans d’histoire anglaise, il crée avec le public une relation de complicité dont on peut dire qu’elle relève d’une alchimie rare. On ne voit pas souvent des spectacles qui déchaînent un tel enthousiasme. L’ingéniosité de la mise en scène tient notamment à la multiplication de détails amusants, que ce soient ces généalogies que déploient régulièrement les prétendants au trône pour faire valoir leurs droits à la couronne, ces épées en forme de clubs de golf ou encore ces têtes tranchées que l’on exhibe à tout bout de champ. Sans oublier les interventions drôlissimes d’une maîtresse de cérémonie pince-sans-rire qui établit avec la salle un contact si efficace que chacune de ses apparitions est accueillie par des hurlements de joie.
Henry VI est âgé de neuf mois à la mort de son père Henry V. Sur fond de guerre de Cent Ans puis de guerre civile, il doit affronter la débâcle d’un royaume au bord du chaos. La personnalité d’Henry VI est complexe. Son dégoût de la violence en fait un monarque démuni face à des prétendants roués, toujours prêts à en découdre. Sa bonté et sa sagesse l’affaiblissent devant des adversaires d’autant plus déterminés qu’ils sont proches du pouvoir. Le paradoxe c’est que malgré tout il dure – du moins jusqu’à son meurtre par le futur Richard III – tandis que ses rivaux s’entretuent.
Provocations, insultes, trahisons, assassinats et autres combats impitoyables émaillent ce qui ressemblerait à un défilé effroyable sans le traitement intelligemment décalé accordé à toute cette violence par Thomas Jolly. Insuffler une esthétique associant glam-rock et carnaval pour évoquer la révolte de Jack Cade qui en appelle au peuple pour conquérir le pouvoir est, par exemple, une idée brillante. Mais ce n’est pas la seule. Car d’idées brillantes ce spectacle en fourmille où chaque scène combine précision et sens du rythme, donnant à l’ensemble un tempo haletant et une fluidité qui font de ce marathon théâtral un moment exceptionnel, intense, électrique ; et, aussi curieux que ça paraisse étonnamment chaleureux par le rapport qui s’établit entre les comédiens et le public.
Hugues Le Tanneur
Henry VI, de Shakespeare, mise en scène Thomas Jolly. Les 24 et 26 juillet à La Fabrica. Avignon. Dans le cadre du Festival d’Avignon.
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