La tension identitaire est le centre nerveux de The Dark Ages du Suisse Milo Rau, deuxième volet, après The Civil Wars, de sa trilogie européenne.
Cinq acteurs, narrateurs de leur propre histoire, se partagent le plateau et une interrogation commune : sur quelles fondations l’Europe est-elle bâtie ? Par leur âge et leur origine, les protagonistes de The Dark Ages évoquent deux ruptures historiques du siècle passé : la fin de la Seconde Guerre mondiale (1945) et le massacre de Srebrenica (1995).
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Les archives, matériau de l’histoire qui s’écrit, servent de décor aux prises de parole, individuelles et fondées sur la mémoire d’événements vécus intimement. Autant de souvenirs qui dessinent en filigrane, outre la trajectoire de leurs vies, le mouvement de l’histoire et les bouleversements qu’elle induit, provoque et répète ad nauseam en des temps et des lieux différents.
Sanja Mitrovic est née en Serbie, Sudbin Music en Bosnie, Vedrana Seksan à Sarajevo, Valery Tscheplanowa en Russie et Manfred Zapatka en Allemagne. Tous ont en commun l’expérience du déracinement et/ou de la guerre. Mais chacun de leurs récits est unique, chaque prise de parole nous confronte à ce que Hannah Arendt décrit comme l’origine du théâtre et sa singularité absolue dans le domaine des arts : la parole d’un je qui témoigne et fait récit de son histoire pour le transmettre.
Réminiscences de Hamlet
A l’exception de Sudbin Music, activiste des droits de l’homme après avoir subi la déportation dans un camp serbe pendant les années 1990 et la mort de ses proches, tous les autres sont des acteurs professionnels. Mais cette distinction s’efface sur le plateau, tant les témoignages qui structurent The Dark Ages se font l’écho d’une préoccupation commune à l’histoire et au théâtre, dont Shakespeare constitue la référence majeure : “Le ‘mal’ existe-t-il, et si oui, y a-t-il une justice s’il nous arrive quelque chose de mal ?, s’interroge Milo Rau. Pendant les répétitions, c’était carrément inquiétant de voir comment des scènes de Hamlet revenaient à nos acteurs, presque une à une, comme des souvenirs authentiques. (…) The Dark Ages est une pièce sur la condition d’apatride, sur une arrivée sans cesse retardée et finalement impossible dans la ‘nouvelle’ Europe, sur l’incapacité d’oublier.”
Ce faisant, Milo Rau fait du théâtre une arme contre les falsifications de l’histoire, où la fiction se donne pour ce qu’elle est : un procédé narratif et scénique à même d’épauler et de soutenir l’acteur dans sa restitution du réel. Magistral.
The Dark Ages conception, texte et mise en scène Milo Rau, spectacle en allemand, bosniaque et serbe surtitré, du 4 au 7 février au Théâtre Nanterre-Amandiers, tél. 01 46 14 70 00, nanterre-amandiers.com
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