Avec sa troupe d’exception, Alain Françon honore le manifeste théâtral de la fin des années 1980 de Botho Strauss, et rend compte avec brio de la folle entreprise dramaturgique de l’Allemand.
Au départ de toute pièce, il y a ce temps durant lequel un auteur laisse vagabonder son imagination dans sa chambre d’écriture… Le Temps et la Chambre renvoie à ces fondamentaux, mais Botho Strauss s’amuse de cette équation pour expérimenter l’illimité des possibles offerts au dramaturge.
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Partant de l’hypothèse d’un théâtre où tout serait permis, c’est le fil en aiguille d’une fiction éprise de sa seule liberté qui devient son guide. Ici, l’action trouve place dans un vaste appartement où, à égalité avec les personnages, chaque élément du décor a un rôle à jouer pour faire avancer l’intrigue…
Des références à Beckett
Même une colonne, comme celle qui trône au milieu du salon, peut s’avérer capable de réussir le tour de passe-passe de faire disparaître un acteur et se révéler la scène d’après en interlocuteur doué de parole. Il suffit d’apercevoir une silhouette féminine par l’une des trois fenêtres qui donnent sur la rue pour que celle-ci s’incarne, sonne à la porte et débarque dans la pièce.
La situation de départ se joue à l’évidence de la référence à Beckett dans le temps arrêté d’un dialogue entre deux hommes assis dans des fauteuils se tournant le dos. C’est Julius (Jacques Weber) qui déclenche les hostilités en signalant à Olaf (Gilles Privat) la présence d’une jeune femme dans la rue.
Et voici Marie Steuber (Georgia Scalliet) qui entre dans la partie. On comprend vite que l’avalanche qui va suivre dépend alors uniquement des personnages et de leur volonté d’en appeler à d’autres présences pour donner corps à leurs histoires.
Une mise en scène aussi précise qu’élégante
Comme dans la cabine bondée du film des Marx Brothers Une nuit à l’opéra (1935), l’effet comique est irrésistible. Il est alors temps pour le spectateur de larguer les amarres, de se laisser mener en bateau par Botho Strauss et la smala surréaliste née de son imaginaire. L’Homme au manteau d’hiver, La Femme sommeil, Le Parfait Inconnu, L’Impatiente et L’Homme sans montre, comptent parmi les dix-huit figures qui habitent maintenant un plateau livré à toutes les folies.
Comme chez Beckett, l’histoire est remise sur le métier avec les mêmes. On ne s’étonnera pas d’apprendre qu’elle se réinvente pour ce deuxième round en empruntant d’autres chemins de traverse. La démonstration de Botho Strauss exige le talent d’un exégète. Aussi précise qu’élégante, la mise en scène d’Alain Françon rend un brillant hommage à ce théâtre qui bouscule les conventions et nous incite au plaisir d’en goûter chaque instant.
Le Temps et la Chambre de Botho Strauss, texte français Michel Vinaver, mise en scène Alain Françon, avec Antoine Mathieu, Charlie Nelson, Gilles Privat, Aurélie Reinhorn, Georgia Scalliet de la Comédie-Française, Renaud Triffault, Dominique Valadié, Jacques Weber, Wladimir Yordanoff, du 6 janvier au 3 février au Théâtre national de La Colline, Paris XXe
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