Au MAC VAL, à Vitry-sur-Seine, l’œuvre poétique et politique de l’artiste palestinien prend toute sa place dans une première exposition d’ampleur qui traduit son approche de l’impermanence. À ne pas manquer.
Chez Taysir Batniji, tout concourt à l’effacement et c’est le labeur d’un seul, d’un corps fragile, de s’efforcer, à bout de bras, de conjurer la déperdition. Dans le travail de l’artiste né à Gaza, en Palestine, en 1966, et aujourd’hui basé à Paris, les œuvres se construisent dans cette double tension : il s’agit de montrer la conjoncture politique et historique tout en maintenant la possibilité d’une expression subjective – libre, mais circonstanciellement telle.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Au MAC VAL, qui lui consacre sa première exposition monographique muséale, les œuvres issues de près de vingt-cinq années de pratique artistique approfondissent l’approche jusqu’ici réservée à un travail trop rare : de l’artiste, on connaissait essentiellement, en France, l’œuvre photographique.
En 2018, lors des Rencontres de la photographie d’Arles, il présentait ainsi la série Gaza to America, Home Away from Home (2017), consacrée au dialogue entretenu avec ses cousin·es palestinien·nes immigré·es aux États-Unis, et placée en regard avec une sélection de ses photographies et vidéos réalisées entre 1999 et 2010.
L’expérience d’un seul rejoint celle de l’humanité
Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse marque non seulement un élargissement de son corpus à ses sculptures et installations, mais également un changement de focale. Si le personnel est politique, il est tout aussi poétique. Si chacune des œuvres de Taysir Batniji est marquée par son expérience du conflit israélo-palestinien – sur cette terre natale occupée qui lui a été niée, il n’a pu retourner depuis 2006 –, leur teneur n’en reste pas moins fondamentalement ontologique.
Lorsque l’artiste décline, à l’aquarelle, les traces hyperréalistes de ruban adhésif signalant l’absence d’une image centrale (disparue ? censurée ?), lorsqu’il nous adresse les captures d’écran pixélisées jusqu’au monochrome d’une communication WhatsApp impossible, qu’il mesure l’écoulement du temps et l’arpentage de l’espace au moyen de grains de sable emprisonnés au sein d’un sablier à l’horizontale ou d’une valise échouée, l’expérience d’un seul rejoint celle de l’humanité – immémoriale peut-être, et surtout imminente alors que le nomadisme s’annonce comme une donne partagée pour les temps qui s’ouvrent.
Un grand artiste
On renoue, également, avec la teneur conceptuelle du travail de l’artiste, à l’instar de la pile de savons gravés de l’inscription, en arabe, “Dawam el Hal Men Al Mohal” (“rien n’est permanent”), et dont chacun·e est invité·e à emporter un fragment, qui pose la question, en écho aux monticules de bonbons et aux piles d’affiches à déconstruire de Félix González-Torres, de la responsabilité individuelle face au souvenir.
Si l’artiste est toujours resté précautionneux face à l’écueil d’être, dans le monde de l’art, perçu avant tout comme un artiste palestinien, plutôt qu’en tant qu’artiste tout court, sa présente exposition y répond très simplement : Taysir Batniji est un grand artiste, et on se rend au MAC VAL tout autant pour sa place dans l’histoire de l’art que pour contrer l’invisibilisation de la communauté palestinienne en France.
Quelques bribes arrachées au vide qui se creuse de Taysir Batniji, jusqu’au 22 août, MAC VAL, Vitry-sur-Seine
{"type":"Banniere-Basse"}