Au Crac Languedoc-Roussillon, retour en majesté de l’artiste Sylvie Blocher, peu habituée aux honneurs d’un centre d’art français.
Lorsqu’on rencontre Sylvie Blocher, on a d’abord l’impression d’une urgence. A dire vite, toute une vie d’artiste, exposée dans le monde entier, quasiment jamais en France. Et force est de reconnaître que l’on connaît à peine son travail, mieux la réputation qui le précède, celle d’un art politique, féministe, engagé et sans concessions. “Je suis de retour chez nous”, commence-t-elle par dire alors qu’elle vit depuis plus de trente ans à Saint-Denis et enseigne à l’école d’art de Cergy.
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Certes, elle revient d’Helsinki après avoir fait le tour de la planète, mais ça n’est pas tout à fait cela que sous-entend Sylvie Blocher : plutôt qu’il y a longtemps qu’un centre d’art ne lui a pas offert la possibilité de présenter l’étendue de sa palette et la gamme haute en couleur de ses portraits filmés.
Un homme et une femme qui s’affrontent
Mais revenons au storytelling de Sylvie Blocher, la rupture originelle avec le milieu de l’art français, à la fin des années 1980, et avec Daniel Buren en particulier qu’elle interpelle dans un meeting à New York : là-bas, ce sont des visions de l’art, des générations, un homme et une femme qui s’affrontent.
A l’époque, elle oscille entre spectacle vivant et arts plastiques, il faut trancher. De son goût pour le spectacle, elle gardera un sens certain de la dramaturgie qui impose à ses vidéos une présence physique indéniable. Sylvie Blocher tourne dans le monde entier où elle enregistre des visages à la fois singuliers et interchangeables : l’universalité, en somme.
Quatre écrans sculpturaux
Mais son travail, au-delà de la tension politique, convoque aussi une certaine relation à la tradition picturale, à l’art si codifié du portrait. “Ils rappellent les portraits des puissants, avec leur visage de trois quarts et leur air hautain”, remarque Noëlle Tissier, la directrice du Crac, devant le ballet au ralenti des gamins d’une favela que l’artiste est allée enregistrer au Brésil.
Sur les quatre écrans sculpturaux qui ouvrent l’exposition, ce sont d’autres visages lévinassiens, en extase, terrorisés, sublimés ou impassibles que Sylvie Blocher soustrait au flux des images. Pour cette vidéo tournée dans le grand hall du musée d’Art moderne du Luxembourg, elle a loué une machine utilisée sur scène qui vous fait monter dans les airs.
Thérapie par l’art
Les volontaires ont accédé au 7e ciel, se sont au moins élevés à 15 mètres de hauteur, parfois comme une montgolfière dont on aurait subitement largué les amarres, parfois plus timidement en s’étirant au maximum sur la pointe des pieds pour toucher encore terre. Mais tous, raconte Sylvie Blocher émerveillée, ont fini par lâcher prise pour revivre des moments traumatisants de leur existence ou rire aux éclats.
La thérapie par l’art n’est jamais loin sauf qu’il n’y a aucun sentimentalisme chez Sylvie Blocher, tous ses sujets étant pris dans une forme d’intégrité, de complétude qui fait que jamais ils ne se désagrègent sous le poids du pathos.
Porte-voix
A l’image de ces ressortissants australiens conviés à se prononcer sur ce que représente pour eux la nation, leur appréhension de la communauté aborigène, et qui, dans le dispositif de dédoublement mis en place par l’artiste, se retrouvent auditeurs/récepteurs de leur propre parole. A l’image encore de ces Latino-Américains, lors d’une expo au Texas, invités à se positionner devant un grand schéma Pantone couleur chair allant du beige clair au brun foncé. Ici, la couleur devient un choix.
Les visages de Sylvie Blocher, que l’on aperçoit le plus souvent dans la série Living Pictures, sont aussi, parfois, des porte-voix. C’est le cas dans la magistrale série Speeches qui, à Sète, conclut l’expo. Sur des fonds logotypés, cinq interprètes mélomanes rejouent des textes célèbres : le Manifeste du Parti communiste (en images), un discours d’Angela Davis ou encore la Convention de Genève de 1951 qui statuait sur le sort des réfugiés.
Avec son lot d’interprétations et de distorsions inhérent au projet, cette reconduction de la parole politique ne relève ni du prêche, ni de la propagande, mais prône plutôt une façon d’inscrire durablement, par la force d’une ritournelle qui trotte dans la tête, l’empreinte du politique. Claire Moulène
S’inventer autrement jusqu’au 31 janvier au Crac de Sète, crac.languedocroussillon.fr
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