La Villa Médicis à Rome, propriété française depuis 1803, est l’une des plus anciennes résidences d’artistes au monde.
Nous sommes à « Neuilly », dans l’ancien atelier d’Ingres, qui fut pensionnaire puis directeur (de 1835 à 1841) de la Villa Médicis. « Neuilly », c’est le petit nom que donnait Hervé Guibert à ce quartier prestigieux de la Villa quand, de l’autre côté des jardins, en contrebas du belvédère, la parcelle dédiée aux habitations des artistes était rebaptisée « Sarcelles ». Depuis la publication de L’Incognito en 1989, l’amer et cinglant roman que Guibert consacra à son séjour à la Villa Médicis, la formule est restée et est devenue un nom de code pour tous les pensionnaires. Depuis, ces résidents privilégiés effectuent chaque jour le trajet qui les mène de Sarcelles à Neuilly à l’ombre des pins parasols et sous le regard inquisiteur des marbres qui ponctuent les allées, en sautant parfois la case « Château », qui abrite des espaces d’exposition, une cafétéria battue par les vents, ainsi que les appartements du directeur Eric de Chassey, où plane encore l’ombre du peintre Balthus.
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Balthus fut le directeur mythique de la Villa Médicis, qui ne cessa au cours de son mandat à rallonge permis par André Malraux (il y resta dix-sept ans, de 1960 à 1977) de raviver les couches successives laissées par deux siècles d’histoire (depuis 1803, date à laquelle l’Académie de France fit l’acquisition de ce palais du Cinquecento). En « maître de chantier », comme il aimait à se définir, et en tant qu’ancien scénographe pour le théâtre, Balthus fait corps avec la belle endormie, au point, comme l’explique l’historienne de l’art Annick Lemoine, que l’on peut établir un parallèle entre la nouvelle patine de la Villa, « cette épaisseur du temps, ces revêtements lézardés », et les toiles de Balthus. Fellini, l’ami romain, ne dit pas autre chose, qui livre un portrait confondu de Balthus et de la Villa, « ce lieu où on a l’impression de remonter dans le temps, à l’abri, dans le flot continu et homogène de la mémoire ».
Hors du monde
Cette sensation d’être hors du monde est à coup sûr ce qui qualifie encore l’esprit de la Villa Médicis. C’est en tout cas ce que racontent les pensionnaires, dont le plasticien et vidéaste Laurent Montaron, qui travaille pour l’instant à se « remettre sur les rails » en relisant Freud, Jung et Grass ou en visionnant un documentaire de la BBC pour préparer son prochain film, une fiction autour du « moi » qui mettra en scène un spéléologue et deux enfants.
« Ce que j’attends de la Villa ? Le temps de ne rien faire. Contrairement à certains artistes, je n’ai pas de pratique quotidienne, j’ai besoin de sans cesse recharger les batteries. »
Même son de cloche du côté de la graphiste Fanette Mellier qui, malgré deux projets (dont la réédition d’un texte de Marcus Manilius, un poète de la Rome antique, fondateur de l’astrologie), se met doucement au travail. Le temps n’est pas un luxe ici mais l’ingrédient que viennent chercher tous les résidents. Le jeune Théo Mercier, par exemple, sélectionné pour la promotion 2012-2013, n’a défendu qu’un projet, « celui de marquer une pause dans la course aux expositions », explique ainsi Eric de Chassey.
Des créateurs venus de domaines différents
L’autre point fort de la Villa, c’est la proximité au quotidien de créateurs et chercheurs venus de domaines différents (arts plastiques, histoire de l’art, littérature, design, musique ou archi, entre autres), et les collaborations qu’elle a générées :
« L’année dernière, l’écrivaine Chloé Delaume et l’artiste Delphine Coindet ont travaillé sur des performances communes, raconte de Chassey, puis ce fut le tour de l’historien Philippe Artières et des artistes Romain Bernini et Raphaël Zarka. »
« Outre les conditions idéales pour se concentrer sur un travail de longue haleine, j’ai aimé qu’à la Villa l’humain, l’affectif et l’intellect se mélangent », complète Zarka, loin de l’amertume d’un Hervé Guibert, ange déchu et déçu de la promotion 1988, qui succéda à l’une des années les plus riches de la Villa, où se croisèrent Georges Didi-Huberman, Pierre Alferi, Alain Fleischer ou Bernard Frize.
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