Stanislas Nordey met en scène « Affabulazione » et porte à l’incandescence cette entreprise poétique où Pier Paolo Pasolini accorde au masculin pluriel les postulats sur le complexe d’Œdipe.
Dans la perspective de donner un avant-goût du vertige provoqué par sa pièce, Pier Paolo Pasolini place en exergue d’Affabulazione une citation de Sade : “Les causes sont peut-être inutiles aux effets.” Un grain de sable apte à gripper irrémédiablement la mécanique d’analyse en usage dans notre monde matérialiste. Une alerte prodiguée à celui qui s’aventure au-delà de la page de garde pour lui signifier qu’après cette limite il pénètre sur un territoire qui n’est plus contraint que par les règles surréalistes d’un récit hallucinatoire. Avec Affabulazione, Pasolini laisse à l’inconscient le soin de mener la danse. En convoquant l’ombre de Sophocle, en questionnant Freud et Jung, il remet en chantier avec l’intransigeance d’un poète le sacro-saint complexe d’Œdipe pour le recadrer à la terra incognita des rapports entre les pères et les fils.
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Jeu de miroirs
Arraché à son sommeil par les tourments d’un rêve dont il ne garde aucun souvenir, un père (Stanislas Nordey) comprend que le cours de sa vie débonde hors de son lit dans l’obsession nouvelle qui l’habite de porter le fer au cœur du chaos palpitant d’émotions qui le lie à son fils (Thomas Gonzalez)… Lui qui est père se sent toujours un fils, alors que son fils, sans plus se questionner, est en âge de devenir père. L’action s’ouvre sur le vide immense d’un salon où la patine des ocres cernés de gris de hauts murs suffit à désigner l’Italie dans le hors d’échelle de la villa d’un riche industriel milanais. Comme dans les cauchemars, l’espace se recompose sans cesse à vue. Au rythme des déplacements des mastodontes-parois, c’est l’autonomie de sa surprenante malléabilité qui confère à la scénographie d’Emmanuel Clolus sa très inquiétante sensualité. Découpée en épisodes, la pièce est l’occasion d’un jeu de miroirs qui associe à chaque station une version en quatre par trois du détail d’un chef-d’œuvre de la peinture classique. Ainsi, Le Caravage, Luciano Laurana, Lorenzo Lotto, Léonard de Vinci et Lubin Baugin forment l’imago arty d’un dialogue avec les fulgurances du poème dramatique.
Saillies de cabaret
Arrivé à l’âge où la reconnaissance du travail accompli le place dans la situation d’être désigné en patriarche du théâtre contemporain, Stanislas Nordey brouille les cartes jusqu’à l’outrage avec cet exercice de psychanalyse en actes où Pasolini l’entraîne à l’infanticide… Et puisqu’il s’agit d’Œdipe, reste cette scène sublime qu’il offre à sa mère Véronique Nordey où, dans le rôle de la nécromancienne, elle fait une entrée de star digne des saillies de cabaret orchestrées en play-back par Tsai Ming-liang dans The Hole (1998). Patrick Sourd
Affabulazione de Pier Paolo Pasolini, nouvelle traduction de Jean-Paul Manganaro, mise en scène Stanislas Nordey, du 12 mai au 6 juin au Théâtre national de la Colline, Paris XXe, colline.fr
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