A la galerie pcp, avec Spiral Baby, Seana Gavin ouvre ses archives à propos du soundsystem Spiral Tribe avec lequel elle voyagea de 1993 à 2003. Un journal intime, portrait d’une jeunesse en lutte, qui résonne encore aujourd’hui.
En 1995, une jeune fille écrit dans son journal intime : « Ce qui est arrivé aux raves est tellement triste. L’underground n’est plus underground. Les raves sont devenues à la mode et commerciales. » Celle qui se lamente d’être née trop tard fera pourtant encore un bout de chemin dans la scène.
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Près de dix années, pour être exact. Et pendant tout ce temps, elle documentera sa vie : les voyages, les rencontres, les compagnons de route, les moments de flou et de lâcher-prise. Ceux, précisément, qui se vivent plutôt qu’ils ne se figent, et que peu de ces congénères auront l’idée de documenter comme elle.
Seana Gavin, le nom de la narratrice de l’extrait de ce journal, est une « spiral baby », nom donné à ces jeunes Anglais qui lâchent tout pour prendre la route aux côtés du soundsystem Spiral Tribe. Spiral Tribe, ou l’invention des free partys.
Furtifs, organisés, déterminés
Initialement basé à Londres, le collectif organise d’abord des soirées dans des clubs. Nous sommes en 1990. Les « Spi » ou « SP23”, comme on les appelle souvent, sont furtifs, organisés, déterminés.
Les soirées, gratuites et clandestines. Très vite, ils rallient une grande partie d’une jeunesse désœuvrée, qui ne se reconnaît plus dans le punk de leurs parents et se tournent vers les promesses de renouveau d’une musique résolument ancrée dans le futur.
https://www.youtube.com/watch?v=y9pX_J9pHCM
A cette musique, il reste encore à inventer les formes d’écoute et de rassemblement. Or, dès 1992, les premières répressions officielles du gouvernement tombent – l’âge d’or regretté correspond à ces quelques années d’émergence.
En mai 1992, Spiral Tribe participe au festival de Castlemorton, le plus grand événement de l’époque où s’amassent entre vingt et quarante mille personnes. Accusé de « conspiration en vue de créer un trouble à l’ordre public », le crew est arrêté. Le procès durera quatre mois.
Bien qu’acquittés, les membres décident de quitter une Angleterre se préparant à entrer dans les années répressives du gouvernement Thatcher, et de répandre leur « mission » d’organisation communautaire spontanée à travers l’Europe. Désormais, il y aura les clubs mais également les free partys itinérantes. Et c’est à ce moment, en 1993, que Seana Gavin, encore mineure, les rejoint.
Des photos d’une qualité spontanée
A la galerie pcp à Paris, celle qui est aujourd’hui devenue artiste expose ses archives de l’époque. Soit au premier étage, deux murs de photographies épinglées, un autre d’extraits de journaux intimes ainsi qu’une table de divers flyers et coupures de presse. Puis au sous-sol, un diaporama d’une vingtaine de minutes accompagné d’une bande-son 100% nineties concoctée par le DJ Alexis Le Tan.
Initialement, les photos, également publiées dans un livre à l’occasion de l’exposition, ne sont pas motivées par un désir d’art ou un quelconque “mal d’archive”. Une grande partie de leur qualité vient de leur spontanéité.
On y lit ainsi le roman picaresque d’une adolescente qui deviendra adulte sur les routes, en suivant le convoi des Spiral Tribe alors qu’ils organisent des raves à travers l’Europe – notamment dans le sud de la France, où résident encore une partie de ses membres.
“J’avais le sentiment que la période était un moment important de mon évolution personnelle” – Seana Gavin
« Dans les fêtes à Londres, puis lorsque je me suis mise à voyager avec les soundsystems, je prenais toujours un 35mm avec moi. Les photos que je prenais avec étaient simplement des photos de mes amis, pour garder le souvenir de ces instants passés en immersion. A l’époque, j’avais le sentiment que la période était un moment important de mon évolution personnelle. »
Alors que ces dernières années l’esthétique rave est partout, de la mode aux cimaises, celle-ci reste le plus souvent explorée depuis son versant urbain : les clubs et les squats.
Il en découle un modèle sociologique de la rave urbaine comme un espace hétérotopique entre quatre murs, un espace-temps creusé au sein d’une ville rongée par la privatisation où s’organise alors la dépense improductive – de corps-capital, de son temps-capital.
Les zones rurales brise l’absence de visibilité
Cet idéal s’applique bien évidemment aussi aux cousines rurales. Il n’empêche, un certain retour, certes ponctuel, ou du moins un certain gain de visibilité des free partys permet, alors, d’affiner la distinction.
Plutôt qu’hétérotopique, l’utopie devient nomadique. Plutôt que ponctuelle, la communauté s’assemble sur le long terme : autogérée, autonome, se fondant dans la nature qui l’accueille. Mais la vraie raison de la visibilité accrue des free partys est bien plus concrète : les zones rurales ont décidé de briser cette absence de visibilité, comme en témoigne toute l’actualité récente.
Or, à la politique, il faut adosser des utopies, des rêves d’adolescence et des imaginaires. C’est là où l’exposition Spiral Baby fait mouche en ressurgissant aujourd’hui.
“Les plus jeunes générations deviennent à nouveau beaucoup plus politisées” – Seana Gavin
Seana Gavin le concède avec le recul, tout en nuançant : « Avec le Brexit imminent, il y a beaucoup de parallèles avec le climat actuel. Les plus jeunes générations deviennent à nouveau beaucoup plus politisées. Nous aussi nous étions en lutte, en lutte pour la liberté de danser et de s’assembler.
La police venait régulièrement faire des descentes, tenter de confisquer le matériel, effectuer des fouilles de drogue et procéder à des arrestations. Mais je pense, quand même, que la scène ne pourra jamais être aussi underground qu’à l’époque.
Les technologies étaient plus lentes, et le temps, le temps d’entrer dans une transe répétitive correspondait à une temporalité du monde qui était, elle aussi, décélérée. »
Seana Gavin. Spiral Baby Jusqu’au 27 juillet, galerie pcp, Paris IIIe
Spiral Baby de Seana Gavin (Perks and Mini), 40 p., 15 €
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