Formidables en clochards amoureux, Anne Alvaro et Yann Boudaud rendent un brillant hommage au mauvais esprit de John Millington Synge, sous la direction experte de Michel Cerda.
Le bruit court la lande sur les îles d’Aran : un homme de Dieu serait capable de soigner tous les maux en aspergeant les malades de quelques gouttes d’une eau puisée à une fontaine miraculeuse. Sans prétendre commencer par jouer les avocats du diable, il est nécessaire de préciser que l’eau, qu’elle soit bénite ou pas, n’est pas le carburant préféré de ce couple de mendiants aveugles qu’on découvre, brailleurs et titubants, alors qu’ils s’avancent vers la croisée des chemins où va se jouer leur destin.
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Ecrite en 1905 par l’Irlandais John Millington Synge, La Source des saints est une drôle de fable à la cruauté savamment grinçante… D’autant plus rutilante d’étrangeté qu’on la découvre dans une nouvelle traduction signée par Noëlle Renaude, qui invente pour l’occasion la belle langue rugueuse d’un français témoignant avec malice des archaïsmes de l’écriture originale chère à Synge.
Un appel à résister
Pour qu’ils retrouvent la vue, ce sont les habitants du coin qui mènent le saint guérisseur (Arthur Verret) vers Martin Doul (Yann Boudaud) et sa femme Mary (Anne Alvaro). Découvrir la réalité du monde s’apparente pour nos cobayes à l’effet d’une sacrée gueule de bois. Se rendant compte qu’ils sont vieux et laids, ils se séparent aussitôt.
S’il sait jouer sur le grotesque des gestuelles outrées et des voix déformées pour nous faire rire à chaque étape du calvaire de ses miraculés, Michel Cerda voit aussi dans la pièce de Synge un appel à résister. Ayant perdu la capacité de se rêver désirables, Martin et Mary ne savent plus s’aimer. Ne comptant que sur leurs propres forces, ces deux-là préfèrent redevenir aveugles pour jouir du bonheur simple de se fantasmer à nouveau.
En ces temps où tant de magiciens se prétendent capables de nous offrir un avenir meilleur, l’option de leur repli tactique est à prendre comme un os à ronger.
La Source des saints de John Millington Synge, texte français de Noëlle Renaude, mise en scène Michel Cerda, avec Anne Alvaro, Yann Boudaud, Chloé Chevalier, Christophe Vandevelde, Arthur Verret et Silvia Circu, jusqu’au 10 février au Théâtre Dijon-Bourgogne, centre dramatique national
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