En 1978, avant la construction du musée, Sophie Calle découvre à Paris la gare d’Orsay et son hôtel à l’abandon. Elle s’y installe et arpente les lieux à la manière d’une archéologue, collectant les preuves de leurs vies passées. En 2020, en plein confinement, elle visite un musée d’Orsay déserté. Le 15 mars, son exposition “Les Fantômes d’Orsay” nous invite à une grande traversée du temps. Entretien avec l’artiste.
Mêlant photographie et texte, Sophie Calle raconte des histoires. Des récits universels de manque et de désir, diffractés par le prisme d’autres voix, présentes ou absentes, qu’elle consigne ou recueille. Née en 1953 d’un père collectionneur, tout la prédisposait à l’art. Mais de son milieu et de ses codes, elle se joue et y viendra de biais, tout en s’imposant à partir des années 1980 comme l’une des artistes les plus reconnues de son époque.
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À l’invitation du musée d’Orsay, Sophie Calle retourne sur les lieux de sa première enquête : l’hôtel du Palais d’Orsay, alors délaissé, qu’elle occupe clandestinement entre 1978 et 1981 et retrouvera tramé d’ombres lors de sa fermeture durant le confinement. à l’exposition répond un nouveau livre, L’ascenseur occupe la 501, composé à partir de la matière collectée sur place qui, depuis plus de quarante ans, sommeillait dans une malle de son atelier. Ingrid Luquet-Gad
Dans le texte qui introduit l’exposition, vous racontez que lorsque vous avez pénétré dans l’hôtel de la gare d’Orsay, vous arriviez à Paris. D’où veniez-vous ?
Je suis partie pendant plus ou moins sept ans hors de Paris. Deux années en France, dans les Cévennes, en Ardèche. Puis je suis allée au Liban, au Mexique, j’ai travaillé avec des pêcheurs en Crète, j’ai été barmaid à New York… Je voyageais. Après le bac, je suis allée à la fac de Nanterre. J’ai eu comme professeur Jean Baudrillard. J’ai sympathisé avec lui. Au bout d’une année, il m’a dit que je ferais mieux d’aller voir le monde.
Mon père voulait m’aider à démarrer dans la vie seulement si j’obtenais un diplôme. Baudrillard m’a alors proposé de mettre mon nom sur les copies d’autres étudiants et de m’obtenir un diplôme. Je peux bien le dire maintenant… Ça a marché et j’ai donc une licence. Je sais, c’est un peu tordu… À 19 ans, en 1972, je suis partie au Mexique – un an jour pour jour, car j’avais pris un billet valable une année et je suis repartie le dernier jour par le dernier avion. Ensuite l’Ardèche, puis New York, à maintes reprises. Mon dernier voyage fut le nord de la Californie, à Bolinas. De là, fin 1978, je suis rentrée à Paris.
Ces expériences, vous n’aviez pas encore l’idée de les convertir en objets artistiques ?
Non, absolument pas. Je faisais des photos, mais tout le monde en fait en voyage. J’avais notamment photographié le cimetière de Bolinas, et à ma surprise un grand nombre de tombes ne portaient pas le nom des gens qui étaient morts mais leur statut familial : “Father”, “Mother”, “Sister”… À Bolinas, je vivais chez une photographe, Ilka Hartmann, et j’utilisais son matériel. Mon père avait aussi promis de m’aider à nouveau lorsque je saurais ce que je voulais faire de ma vie. J’avais envie de tenter la photographie, mais c’était encore assez vague.
En Californie, vous avez fait d’autres photos ?
J’ai surtout photographié des cimetières. J’ai toujours aimé les cimetières. Pour aller au lycée, je traversais quotidiennement celui du Montparnasse. Je suis toujours allée au cimetière avant d’aller au musée. Ça me paraissait la méthode la plus efficace pour appréhender, comprendre une ville.
Quelle est votre perception de Paris en 1979 ?
J’étais perdue. Durant mon adolescence, j’étais une militante d’extrême gauche. Le Paris que je fréquentais était celui des maos et des féministes.
Et le Paris que vous retrouvez vous paraît désenchanté, dépolitisé ?
Non, ce n’est pas ça, c’est plutôt moi qui avais changé. Je ne connaissais rien à Paris. Je ne connaissais pas la ville comme on peut la connaître à 20 ans. Je ne savais pas dans quels cafés aller. J’habitais chez mon père, chez qui je n’avais jamais vécu. J’étais très seule. Perdue comme je l’étais, je me demandais : “Mais où vont les gens ?” Et je me suis mise à en suivre certains dans la rue. J’ai pensé que ce serait un moteur pour découvrir des quartiers, des rues, des lieux que je ne connaissais pas et que je n’avais pas l’énergie d’affronter volontairement.
À quel moment arrive la documentation de ces pérégrinations ?
À un moment donné, j’ai voulu les photographier, comme ça, sans arrière-pensées. Pour le souvenir. Je prenais des notes aussi. Comme j’avais dit à mon père que j’allais faire de la photo et que j’avais construit un petit labo dans sa cave, j’ai profité de ces filatures. Pendant un an, j’ai suivi des gens dans la rue sans en faire quoi que ce soit. Et puis, comme je traînais partout, un jour j’ai poussé une petite porte qui a cédé et j’ai découvert l’hôtel d’Orsay, à l’abandon. C’était un bâtiment de quatre étages, de longs couloirs déserts, des chats morts, des matelas éventrés… Les premiers mois, j’y étais seule. J’ai photographié cet hôtel abandonné.
Ce n’était pas une photographie d’art. Plutôt une photographie de documentation ?
Oui… Et ça l’est resté.
L’œuvre n’est pas la photo mais le récit qui traverse la photo…
Oui, le constat. Je n’étais pas sûre de moi, je ne pensais pas savoir écrire. Je n’étais pas du tout sûre de mes qualités de photographe. Mais j’ai entrevu que dans la mise en relation des deux je pouvais trouver mon espace. Mon père était collectionneur et avait chez lui des photos de Duane Michals. Ces images, avec une légende, m’ont paru à ma portée – ni photo silencieuse ni littérature…
Je ne pense pas être une grande photographe ou une grande écrivaine, mais dans l’association des deux, j’ai su y faire. Il y a beaucoup de projets pour lesquels je me suis demandé si je pouvais me passer de l’un ou de l’autre. C’est rarement arrivé : pour Voir la mer (2011) ou Les Tombes (2017), je me suis passée du texte. Dans Prenez soin de vous (2007), je les ai confiés à d’autres femmes – d’ailleurs je crois que c’est à cette occasion que j’ai fait mes meilleures images parce que j’avais perdu le texte et que j’ai dû faire un effort inconscient pour les photos.
À quel moment avez-vous décidé de montrer ces travaux que vous faisiez de façon personnelle ?
Ce n’est pas moi qui ai décidé. Au moment où j’ai réalisé Les Dormeurs (1979), je partageais mon labo avec Gloria Friedmann [artiste allemande]. Elle avait apporté le matériel et j’avais fourni la cave. Un jour où elle avait travaillé toute la nuit, elle est montée se reposer dans ma chambre. J’ai pensé que ce serait intéressant d’imaginer un lit occupé 24 heures sur 24 par des gens différents.
J’ai donc convié des inconnus, pour la plupart, à venir dormir chez moi par périodes de huit heures. Et une femme que je croisais au marché et qui vivait avec Bernard Lamarche-Vadel, le critique d’art, lui a résumé sa nuit : “J’ai dormi chez une fille qui a pris des photos toutes les heures.” Il était à l’époque le commissaire en charge de la Biennale des jeunes [Biennale internationale des jeunes artistes] et il m’a invitée à y participer. Je crois que j’y aurais pensé un jour – tout était en train de s’additionner –, mais c’est lui qui a fixé la date et le lieu de la première fois. Je suis aussi entrée pour la première fois au musée d’Art moderne pour y accrocher mes photos. L’art contemporain, ce n’était pas encore mon univers.
Dans le récit que vous faites de votre vie, on a l’impression que vous obtenez les choses sans effort.
Oui, c’est vrai. Je n’étais pas inquiète. À l’époque, à 26 ans, si on ne savait pas quel métier choisir, ce n’était pas un motif d’inquiétude. J’avais fait des tas de petits boulots, ils étaient faciles à trouver. En parcourant le monde, j’avais vu que je pouvais m’en sortir un peu partout. Quand je n’avais plus d’argent, je trouvais quelque chose. Quand j’avais de l’argent, je lâchais tout pour partir. On ne restait pas sur place parce qu’on avait un boulot et une maison.
Quand vous avez poussé la porte de l’hôtel d’Orsay, qu’avez-vous fait à l’intérieur ?
J’ai ramené chez moi – enfin chez mon père – tout ce que je trouvais dans l’hôtel. J’ai enlevé les plaques des chambres. J’ai ramené des valises de documents totalement inutiles : des cahiers entièrement parcourus de chiffres qui décrivaient la consommation d’eau chaude et d’eau froide. Ça ne pouvait servir à rien. Ou alors à montrer une sorte de folie consistant à tout garder.
Pensez-vous que, chez vous, cela tient de la compulsion et d’une forme de dérèglement psychique, ou que c’est avant tout une méthode avec toujours l’arrière-pensée que ça servira un jour ou l’autre à une œuvre ?
Je n’ai jamais pensé qu’il y avait un dérèglement chez moi. Je suis même assez équilibrée… quoi qu’on en pense ! Je me doutais que j’en ferais quelque chose, mais je ne savais pas vraiment quoi. Le fait est que tout cela est resté sur des étagères de 1979 à 2020. Pendant quarante et un ans, je n’ai jamais songé à utiliser le contenu de ces caisses.
Lors d’un récent dîner, je me suis retrouvée face à Donatien Grau [conseiller pour les programmes contemporains de la présidence des musées d’Orsay et de l’Orangerie] du musée d’Orsay. Je lui ai dit en riant : “Je connais peut-être votre musée mieux que vous.” Et je lui ai raconté que j’avais squatté l’hôtel d’Orsay pendant deux ans. Il s’est demandé s’il y avait de quoi faire une expo. Rien, sinon des bouts de papier, une trentaine de photos pas plus… Il a insisté, alors je suis allée ouvrir mes caisses. Et là, il m’a semblé qu’il y avait peut-être de la matière. Je vais vous montrer. [Elle nous conduit près de ses caisses]
J’avais par exemple emporté tous les messages adressés à un homme de ménage prénommé Oddo, mais l’ensemble manquait de texte. Alors, j’ai demandé à l’archéologue Jean-Paul Demoule, dont j’avais apprécié les livres, de commenter ces messages et ces objets que j’avais récoltés : les serrures, les clés, les téléphones… Il en a fait deux lectures : l’une, professionnelle, où il décrit sérieusement mes trophées ; et une autre version, plus fantaisiste, comme s’il les trouvait dans plusieurs siècles et que leur sens s’était perdu.
Ce qui a déterminé aussi mon souhait de faire l’expo, c’est que Donatien Grau m’a invitée à visiter le musée pendant le Covid. Le musée était silencieux, vide, obscur – en un mot : confiné. J’avais vécu dans un hôtel à l’abandon dans lequel j’étais seule et je me retrouvais dans un musée endormi et privé de son public. J’ai photographié dans le noir les peintures les plus célèbres d’Orsay : Olympia, Les Tournesols, L’Origine du monde…
“J’occupais une chambre dans l’hôtel, la 501. J’ai voulu la retrouver. Une cage d’ascenseur avait pris sa place. D’où le titre du livre qui accompagne l’expo : L’ascenseur occupe la 501.”
Vous souvenez-vous que, dans Les Amants du Pont-Neuf (1991) de Leos Carax, il y a une scène où Juliette Binoche entre la nuit par effraction dans le Louvre et regarde dans l’obscurité tous les tableaux à la bougie ?
Incroyable, j’ai vu le film mais je n’ai pas de souvenir de cette scène ! Moi, je ne les éclairais pas à la bougie mais avec la lampe torche d’un téléphone. Ça aurait été plus beau à la bougie, mais je n’en avais pas sur moi ! [rires] Et comme l’iPhone corrige les défauts, même si ces œuvres étaient fantomatiques en vrai, elles perdaient ce mystère une fois photographiées. Heureusement, Patrice Schmidt, le photographe d’Orsay, m’est venu en aide pour que le rendu soit le même que ce qu’on voyait.
Vous avez cherché à reconstituer mentalement dans le musée le lieu que vous squattiez ?
J’occupais une chambre dans l’hôtel, la 501. J’ai voulu la retrouver. Une cage d’ascenseur avait pris sa place. D’où le titre du livre qui accompagne l’expo : L’ascenseur occupe la 501.
Montriez-vous ce que vous rameniez de l’hôtel à votre père ?
Je ne me souviens plus. Sans doute. À l’époque, je rêvais aussi de devenir danseuse ; mon rêve était de travailler avec Bob Wilson. Dans la salle de bal de l’hôtel d’Orsay, je m’entraînais à faire le derviche. Je tournais sur moi-même dans ce bâtiment en ruine. C’est pour cela que j’y allais tous les jours. Au bout de six mois, les travaux ont commencé. Il y avait des ouvriers en bas.
Je suis passée, très sûre de moi, car je considérais que j’étais chez moi. Ils ont dû me prendre pour une architecte et n’ont rien dit. Ça a encore duré un an et demi. Quand ils sont arrivés au premier, je suis montée au deuxième, et ainsi de suite. Et quand j’ai vu qu’ils allaient investir le cinquième, j’ai compris que c’était fini. Alors j’ai invité quelques amis au courant, Jacques Monory, Yann Collette… et j’ai changé de territoire.
Et pendant ce temps, vous continuiez à suivre des inconnus dans la rue ?
Non, j’avais arrêté après l’homme de Venise.
Suite vénitienne, vous l’avez conçue juste après avoir quitté Orsay ?
Ça s’est chevauché. J’ai découvert Orsay. Puis, au bout de trois mois, je suis partie suivre un inconnu jusqu’à Venise. Deux mois après, je revenais… Orsay, la Suite vénitienne, Les Dormeurs sont tous des projets entamés dans les trois mois qui ont suivi mon retour à Paris. Le Mexique m’a porté chance !
Pendant quarante et un ans, ces mois passés à Orsay seule vous hantaient ?
Pas du tout. J’y ai repensé parce que j’ai rencontré Donatien Grau et que nous en avons parlé. Mais ça ne me hantait pas du tout. Ça traînait… Je mets beaucoup de choses de côté, vous savez.
Quand vous sortez de l’année 1980, en ayant mené ces trois projets ou activités, on peut dire que vous vous êtes trouvée. Artistiquement et socialement.
Oui, un peu. Mais ce n’était pas clair non plus. J’avais saisi que je serais probablement artiste. J’ai commencé à en vivre, mais de façon aléatoire : je décrochais une bourse pour aller quelques semaines à tel endroit, on me commandait quelques photos pour tel ou tel magazine… Mes activités artistiques m’apportaient indirectement de petits revenus. Je ne sais pas à quel moment c’est devenu évident. Je crois qu’au fond j’ai suivi tous les poncifs de ma génération : j’ai été militante quand c’était branché d’être militante ; je suis partie vivre en communauté dans les Cévennes parce que hippie, c’était à la mode ; j’ai été féministe parce que les filles marrantes l’étaient… J’avais envie d’être à fond dans mon époque. C’est à partir de 1980 que je me suis en quelque sorte débranchée. Je n’ai pas suivi les punks…
“En 1980, j’allais au Palace, mais ma vie ne tournait pas du tout autour du Palace. Ma vie, dès lors, c’était de devenir artiste.”
À l’époque, vous n’alliez pas au Palace par exemple…
Ah si, j’y allais !
Pas totalement débranchée donc…
[rires] C’est vrai. Mais disons qu’à partir de ce moment j’ai cessé de vouloir fusionner avec l’air du temps. Auparavant, je fonçais, je tentais de vivre à fond chaque expérience. Quand je fréquentais les maos, ma vie ne tournait plus qu’autour de ça. Quand je suis devenue féministe, j’organisais des avortements chez moi [au sein du Mlac, Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception] et, les jours libres, j’accompagnais des femmes à Londres ou aux Pays-Bas. Devenue hippie, je suis partie vivre en communauté dans les Cévennes. En 1980, j’allais au Palace, mais ma vie ne tournait pas du tout autour du Palace. Ma vie, dès lors, c’était de devenir artiste.
Quelles étaient vos amitiés et vos alliances dans le monde de l’art ?
Annette Messager et Christian Boltanski en premier lieu. Nous nous sommes installés ensemble ici, à Malakoff, en 1981, dans ces anciens ateliers d’usine. Ils étaient déjà artistes et me protégeaient un peu. Mais je ne peux pas dire que je me sois immergée dans le monde de l’art. Je connais mieux le monde de l’architecture ou celui du théâtre. Je n’ai jamais fait partie d’une bande d’artistes qui avancent ensemble, avec leur réseau de commissaires et de collectionneurs. Ce qui ne m’a pas empêchée d’avoir des amis artistes bien sûr, mais pas de bande. En dehors du travail, je suis plutôt allée voir ailleurs.
Vous n’appartenez pas à une bande, mais votre œuvre est extrêmement accueillante. Elle ne cesse d’inviter des gens, de créer des communautés provisoires…
Oui, bien sûr. Des chanteurs, quand j’ai imaginé le disque sur mon chat, Souris Calle (2018). Des femmes de professions différentes pour Prenez soin de vous (2007)… J’ai toujours eu besoin des autres dans mes œuvres. Des aveugles, des passants, même s’ils ne le savent pas… Pour Voir la mer, j’ai demandé à Caroline Champetier de filmer. Sans elle, il n’y aurait pas eu de projet.
Caroline Champetier est une cheffe op’ de cinéma. Vous avez réalisé un film, No Sex Last Night, en 1996. Le cinéma compte-t-il dans votre vie ?
Pas tant que le théâtre !
Pourquoi ?
Au fond, je choisis un truc et, pendant quelques années, il n’y a plus que ça. J’ai découvert le théâtre grâce à Éric Bart, un ami programmateur qui a fait de moi sa complice. J’ai commencé à me passionner, à voir autant de spectacles que possible. La dernière pièce que j’ai aimée ? Le Passé de Julien Gosselin. Je tente de voir tous ses spectacles depuis Les Particules élémentaires que j’ai découvert à Avignon en 2013. J’ai alors noué un lien particulier avec les anciens directeurs du festival, Vincent Baudriller et Hortense Archambault. Ils m’ont invitée à participer deux fois : en 2012, avec l’exposition Rachel, Monique… autour du journal de ma mère, et puis, l’année suivante, avec une performance dans une chambre à l’hôtel La Mirande.
Comme mes performances se déroulaient en journée, les gens de théâtre qui jouaient le soir venaient voir mon travail. J’ai créé des liens avec Krzysztof Warlikowski, Angélica Liddell, Simon McBurney, Thomas Ostermeier, Steven Cohen, Pippo Delbono… Certains sont devenus des amis proches. Et le soir je voyais leurs spectacles. C’était ma nouvelle vie. Mais j’ai toujours procédé comme ça. Il y a longtemps, ma passion était la corrida. J’en voyais cent par an et je choisissais le planning de mes expositions en fonction des férias.
“Je suis maintenant habituée à me mettre toute seule à l’œuvre, sans avoir besoin d’aller séduire et persuader qui que ce soit.”
No Sex Last Night restera l’unique pièce de votre filmographie ?
J’aimerais bien vous dire non. J’aimerais tourner un deuxième film. J’y ai songé. Mais le cinéma nécessite un tel engagement, et aussi de tels investissements d’argent… Même pour un film minuscule comme No Sex Last Night, que j’avais tourné et monté artisanalement, ce fut ensuite la croix et la bannière pour trouver un producteur, un distributeur. Il fallait se battre sur tout. J’ai une idée claire d’un film que je pourrais faire. Mais je suis maintenant habituée à me mettre toute seule à l’œuvre, sans avoir besoin d’aller séduire et persuader qui que ce soit.
On peut choisir de faire des films comme ça. En tournant seul·e, un peu tous les jours, comme Alain Cavalier…
C’est vrai. Mais Alain Cavalier n’a pas d’expos à préparer ! [rires] Il faudrait que j’arrête d’un côté pour m’investir de l’autre. J’y ai songé, mais la lourdeur des procédures au cinéma me décourage un peu. Dans ma pratique artistique, les œuvres me semblent à portée de main. Je suis probablement trop à l’aise dans mon domaine pour m’en détourner. Les films ne me paraissent pas à portée de main. Au théâtre, on m’a fait des propositions. Ce serait un rêve pour moi d’être sur scène. Mais j’ai peur. Je suis trop éblouie par ce que je vois, par ce que font mes amis, pour prendre le risque d’échouer. La pensée de ne pas être à la hauteur me paralyse.
Après Orsay, vous enchaînez avec un projet pour le musée Picasso.
Absolument. Ce sera à l’occasion du cinquantenaire de la mort de Picasso. Il s’agit d’une carte blanche qui aura lieu à l’automne 2023. Ce sera une exposition majeure pour moi, avec principalement des œuvres nouvelles… mais je ne sais pas encore comment vous en parler sans rien vous dire.
Les Fantômes d’Orsay de Sophie Calle, du 15 mars au 12 juin, musée d’Orsay, Paris.
L’ascenseur occupe la 501 de Sophie Calle et Jean-Paul Demoule (Actes Sud), 368 p., 69 €. En librairie le 16 mars.
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