L’artise expose œuvres nouvelles et anciennes où s’entrecroisent les thèmes de la traque affective et de la porosité entre les espèces.
Son goût pour les animaux naturalisés, qui envahissent sa maison, autant que celui pour le pistage et les jeux de cache-cache dont son œuvre témoigne, ne pouvaient que pousser Sophie Calle à accepter l’invitation du musée de la Chasse et de la Nature.
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Moins pour prendre possession d’un lieu hanté que pour s’accorder à son esprit, faire corps avec un monde empaillé et exfiltrer ses propres bêtes. Discrètement, avec la complicité de la commissaire Sonia Voss, l’artiste joue avec les contraintes du lieu en inoculant ses protocoles et ses rêves.
Dans les affres ludiques et mélancoliques de la création
Le titre de l’exposition, Beau doublé Monsieur le marquis !, emprunté à une ancienne publicité pour des cartouches, suggère quelques pistes. En errant dans le musée, le visiteur pressent qu’est visé surtout l’écorce sentimentale, la peau de chagrin qui protège de la solitude.
La chasse comme allégorie, la porosité entre les espèces animale et humaine, la disparition et les traces de l’absence, la traque affective : on retrouve ici les fils qui conduisent Calle dans les affres ludiques et mélancoliques de la création.
Visiter des morts, retrouver des vivants envolés, chatouiller les spectres. Avec tous ses rêves, l’artiste s’immisce dans les salles du musée, en retrouvant les objets de ses “histoires vraies” (un landau vide, perdu dans une salle, un soutien-gorge sorti d’un tiroir, une chaise renversée avec à son pied un livre de Bruce Nauman, sa robe de mariée rouge jetée négligemment sur un cerf…).
Un dialogue fécond avec la sculptrice Serena Carone
Ses interventions renvoient à ses obsessions autant qu’à un dialogue fécond avec son amie, la sculptrice Serena Carone. Le duo explore des motifs communs, tel l’ours blanc, objet d’une sculpture en céramique chez Carone et d’une enquête poétique chez Calle (après avoir recouvert d’un drap blanc l’animal fétiche du musée et demandé au personnel de raconter ce qui se cache sous le fantôme).
A des yeux enchâssés dans une cimaise par Carone fait écho le visage de Bob Calle, le père récemment disparu dont le regard comptait pour l’artiste, ainsi que l’image d’un bélier aveuglé par ses propres cornes (Infarctus silencieux). A ce jeu de correspondances, traversé par le motif de la disparition – “Que faites-vous de vos morts ?”, demande Sophie Calle aux visiteurs –, l’exposition associe quelques anciennes pièces de l’artiste, comme la Suite vénitienne ou la série Cœur de cible sur des photographies de jeunes délinquants utilisées comme cibles lors de l’entraînement de policiers américains.
Au dernier étage, deux nouvelles œuvres, Le Chasseur français et A l’espère, complètent un travail déjà considérable sur le langage des petites annonces amoureuses, consignées dans les archives du journal fétiche du monde de la chasse, ainsi que dans un corpus élargi de messages de prédateurs fantasmant un corps croisé dans les transports, où domine un vocabulaire se référant au monde animal (“crinière léonine”, “regard de biche”…).
Entre les mots et les peaux, les jeux et les métempsychoses, Sophie Calle et Serena Carone contaminent l’imaginaire du monde animal de leur fantaisie humaine, où la pulsion de vie s’ajuste à la conscience de l’éclipse. Jean-Marie Durand
Beau doublé, Monsieur le marquis ! Jusqu’au 11 février 2018, musée de la Chasse et de la Nature, Paris IIIe
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