Au théâtre des Abbesses jusqu’au 15 juillet, “Graces” est l’une des représentations les plus réjouissantes de la saison.
Sur le plateau, ce drôle de quatuor s’amuse de ses différences. Trois hommes et une femme, en sous-vêtements noirs, donnent dans la glissade, osent l’arabesque et se coltinent la statuaire, une heure durant. On rit dans les rangs mais pas seulement. Le point de départ de Graces ? Les statues d’Antonio Canova. “L’idée était de jouer avec les genres, les identités, ce qui est beau. Changer notre perception aussi”, raconte Silvia Gribaudi, de passage à Paris au printemps. “Canova parle d’harmonie. Je voulais savoir quelle en est la perception aujourd’hui. Mon idée étant que la technique n’est pas le point central de la pièce. Ce serait plutôt le plaisir d’être avec les autres.”
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“Rire des limites”
Alors, la chorégraphe italienne met en scène ses défauts, invective en douceur la salle, toise ses complices. Faire rire de son corps, ce n’est pas si évident dans la danse contemporaine. Plus d’une fois, Graces est sur le point d’en faire trop. Puis la chorégraphie se reprend. “J’ai décidé de rire des limites. Et de tester les limites du public. J’ai pris trois danseurs masculins sur scène avec moi, sans audition. Il s’agissait de voir ce qui se passait entre chacun. Nous avons beaucoup avancé sur l’idée du contact.”
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Il y a une vraie liberté à l’œuvre dans ces allers-retours entre ce que l’on montre et ce que l’on cache. Comme autant de portraits révélés au plateau. Le classique irrigue Graces, sans faire de la moquerie un moteur de la pièce. On sent chez l’Italienne une admiration non feinte et néanmoins des questionnements. “J’aime beaucoup la danse classique. Il y a quelque chose dans sa narration qui m’intéresse. Enfant, je voulais être ballerine comme beaucoup. Mais comment réaliser ce rêve avec un corps différent ou mon enseignement à part ? Renoncer à sa passion, c’est toujours difficile.”
Graces est riche de ce regard, la mélancolie à bonne distance. Il y a ce que l’on rêvait d’être et ce que l’on est devenu. Silvia Gribaudi a compris que les rôles de princesses n’étaient pas pour elle. Mais elle a su se faire un nom en Italie, créant sans cesse, assurant workshops et rencontres loin de toute mode.
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Le succès de Graces, lequel est demandé dans l’Europe entière, l’enchante. Elle pense surtout à la suite. Mon jour, prévu pour une première en octobre 2021, réunira deux acrobates, un clown et deux danseurs. “L’idée, je dirais même la stratégie, c’est de créer un rapport avec le public. Un dialogue entre lui et nous. On va essayer plusieurs manières d’être ensemble. Repenser notre position dans le théâtre. Qui est vraiment le protagoniste ? Est-ce que les artistes ne devraient pas s’arrêter un moment et regarder le monde qui nous, qui les entoure ?” Repenser la position de l’artiste dans la société l’interpelle. L’occasion pour Silvia Gribaudi “de se demander si son travail est important après une année de ‘fermeture’ des théâtres”…
Graces, conception Silvia Gribaudi, 12 au 15 juillet au théâtre des Abbesses, Paris.
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