À 46 ans, le street-artist Seth s’offre une première exposition muséale à Bordeaux. Avec un message plus engagé qu’il n’y paraît, caché derrière les représentations de l’enfance dessinées sur les murs…
Si son nom ne vous dit rien, ses œuvres vous parleront très certainement. Dans les rues de Paris, de Shanghai, mais également de Miami, Berlin ou encore Dubaï, l’univers coloré de Seth – Julien Malland de son vrai nom – s’affiche fièrement sur les murs. Pour sa première exposition en solo, le street-artist de 46 ans s’installe à l’Institut Culturel Bernard Magrez, centre d’art bordelais ouvert en 2011 et bien décidé à s’affirmer comme un lieu central de l’art urbain.
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Des catacombes au château
Aujourd’hui sur les murs d’un château, le Globepainter – du nom de son ouvrage paru en 2007 – a démarré sa carrière bien loin de cet univers. À 16 ans, alors que ses parents se séparent, « la bride lâche ». À la même période, autour de 1988, le hip-hop se démocratise en France et les murs voient arriver tags et graffitis. Fasciné par cette culture bouillonnante, Julien commence à analyser les œuvres qui apparaissent autour de lui, avide de décrypter les messages des collectifs PCP, TSA, TCR, ou LST. Après un séjour à Amsterdam et la découverte du subway art, le graffiti sur métro, Julien se lance au milieu des années 90, parcourant les rues et les catacombes. Une salle de l’exposition est d’ailleurs aujourd’hui entièrement consacrée au graffiti, « petit hommage pour se souvenir d’où il vient ».
Des débuts dans la rue mais également au sein de l’École Nationale des Arts Décoratifs, où il apprend les techniques de peinture et de dessin avant d’enchaîner un début de carrière dans les industries créatives : publicité, dessins animés, bande dessinée… Mais malgré une passion pour Tintin dans son enfance, Seth laisse rapidement tomber cette carrière pour vivre de son art à plein temps. Propulsé par l’émission Les nouveaux explorateurs, produite et diffusée sur Canal + – pour laquelle il parcourt le monde via le prisme des arts urbains -, Seth ne quittera plus l’art mural. Avec pour but premier d’échanger avec la population locale.
“Une provocation assumée mais cachée”
Son univers, dévoile principalement des représentations d’enfants dans des fresques colorées, apparemment innocentes et pourtant engagées. Aujourd’hui, plus de cinquante personnages composent cet univers. Dans le descriptif de l’exposition, il est possible de lire les lignes suivantes : « L’enfant devient porte-parole, messager de son questionnement. Il met en jeu son image d’innocence et place son personnage dans un contexte social, politique, géographique difficile. » Une démarche qui s’offre donc avec une double lecture, pour celui qui revendique une « provocation assumée mais cachée. »
Pour nourrir son univers, pas question de rester dans son quartier de prédilection, malgré son amour pour le XXème arrondissement parisien. En effet, l’artiste va rapidement s’inspirer de ses voyages. Dès 1999, il part en Chine, fasciné par la culture. Il travaille notamment dans les vieux quartiers en destruction du centre du Shanghai, progressivement remplacés par les tours et centres commerciaux. Il explique : « Ces endroits m’intéressent car ils racontent ce qui se passe partout dans le monde, une gentrification des centres-villes avec disparition des habitats populaires. Il poursuit : J’ai davantage de mal à créer en Europe, c’est tellement proche de moi que j’ai moins de choses à raconter, moins d’émotions à exprimer. » Celui qui se définissait comme carnettiste se voit désormais davantage « journaliste voire anthropologue, toujours par le biais de l’art », en dévoilant les endroits grâce au street-art.
Une responsabilité de l’artiste
Les œuvres, de par leurs couleurs et leur aspect général, semblent plus naïves qu’elles ne le sont en réalité. Derrière les contes et mythes desquels Seth s’inspire, l’artiste cherche à faire réfléchir. Et n’estime pas avoir un rôle passif : « J’estime que j’ai une responsabilité en peignant dans la rue. » En effet, pas question de laisser la création au hasard. Dans cette responsabilité, la place de l’artiste est bien définie : « Il ne faut pas que je m’impose. Je le fais déjà en écrivant dans la rue, mon dessin ne doit pas être trop invasif. J’essaye toujours de trouver la limite. » Et à chacun d’avoir sa propre théorie quant au sens précis des œuvres. Pour aider à l’identification et à la réflexion, les visages des personnages sont d’ailleurs souvent invisibles.
Le nom de l’exposition actuelle, 1, 2, 3 soleil, n’est pas sans rappeler l’enfance, avec le célèbre jeu pratiqué dans les cours de récré. Si elle présente principalement des toiles au premier étage, avec des salles thématiques dédiées à différentes phases de la vie de Seth (la Chine, le graffiti, l’Italie…), le second étage dévoile des œuvres immersives, créées in situ. On y découvre plusieurs collaborations, notamment avec Mono Gonzalaz – artiste militant et figure de l’histoire de l’art mural d’Amérique latine – ou Pascal Vilcollet, peintre renommé pour ses portraits de stars. Toujours dans une démarche d’évolution, Seth s’intéresse à des médiums tels que la photographie ou encore la sculpture. « L’œuvre va s’abîmer, mais la photo restera », assène l’artiste. Avec plusieurs projets de voyages déjà prévus, tels que Vienne et Copenhague, Seth n’est pas près d’arrêter de s’exprimer.
1, 2, 3 Soleil, du 2 juillet au 7 octobre 2019
Institut Culturel Bernard Magrez, Bordeaux
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