Dans les deux espaces de la galerie Balice Hertling, ainsi que dans l’accrochage inaugural de la Bourse de commerce, la jeune artiste déploie un vocabulaire brut et poétique à la fois. Un pied de nez réjouissant aux attentes du monde de l’art, du moins celui du monde d’avant.
Il s’agit peut-être de l’une des ascensions les plus fulgurantes d’une toute jeune artiste, de l’une de celles, du moins, dont on pressent qu’elle s’inscrira dans le temps. Ser Serpas est née en 1995, et si elle semble être partout ces dernières années, il ne s’agit pas pour autant de ces carrières préfabriquées comme il y en aurait tant d’autres. Grandie à Los Angeles, formée à New York, basée un temps à Zurich avant de s’être récemment relocalisée à Tbilissi, Ser Serpas est tout d’abord une artiste d’artistes : ce dont d’abord elles et eux qui la regardent, discutent son travail, l’exposent dans leurs lieux autogérés.
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À l’entendre relater ses premières années, une même genèse se dessine : il en va de ces rencontres avec d’autres artistes, performeur·euses, poètes, par l’entremise de la scène new-yorkaise ou d’Instagram où se lit quelque chose comme le portrait d’une solidarité qui échappe à l’individualisme latent du monde de l’art. C’est que la scène de Ser Serpas n’est pas l’immédiatement visible, déjà adoubée par les centres de validation établis mais celle qui, peu à peu, autour d’elle et par elle, le devient désormais, et remplace peu à peu les arrière-gardes héritées. Car entre artistes, écrivain·es, musicien·nes et autres âmes créatives racisé·es, non-binaires et précaires, les liens tissés d’abord hors des radars ont cimenté un terreau créatif vibrant et bouillonnant.
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Poèmes
À présent, les formes parlent d’elles-mêmes. Elles n’ont plus besoin de la présence de l’artiste, de son récit de vie ou de son portrait en son atelier. Elles se tiennent et prennent l’espace. Ser Serpas en est la démonstration, elle qui, issue d’un double cursus en études urbaines et en art à l’Université de Columbia, viendra à l’art en écrivant et en dessinant dans ses carnets avant de rencontrer ses pair·es artistes. Ainsi, à la galerie Balice Hertling à Paris, deux espaces sont investis par celle qui, à l’été 2019, profitait de l’habituelle trève estivale du monde de l’art pour y co-curater avec Quinn Goldsmith Harrelson l’exposition On the Backlot – une histoire d’artistes qui en invitent d’autres fournissant, à Paris aussi, la première porte d’entrée à son travail. Entre temps, Ser Serpas aura présenté, dans l’accrochage inaugural de la Bourse de Commerce – Pinault Collection, un accrochage de ses peintures à la facture enlevée réalisées d’après ses photos à l’iPhone de dates peu concluants.
Cet automne cependant, c’est en tant que sculptrice qu’on la découvre, comme un pied de nez de la part de celle qui, lorsqu’on l’interroge sur la réception de ses œuvres de la part des acteur·trices établi·es du monde de l’art, répond que les galeries veulent ses peintures et les institutions ses sculptures. Sobrement intitulée de son nom, l’exposition s’écrit et se déploie en deux volets. Dans l’actuel espace de la galerie, aux murs blancs, elle présente un ensemble caractéristique de sa pratique : des objets et fragments de mobilier glanés dans les rues alentour écrivent déposés au sol contre les murs une partition rythmée, ponctuée d’un ensemble de poèmes tracés à main levée sur des feuilles volantes accrochées sous cadre par intervalles. Dans le second, à quelques encablures de là, que la galerie se prépare à investir dès la prochaine exposition, laissé brut et en travaux, le geste prend de l’ampleur.
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Une conversation secrète
Là, le même processus s’écrit en élévation, atteignant une qualité quasi-mystique alors que la lumière changeante du jour vient baigner, sur les deux étages, les assemblages monumentaux précaires. Réalisés sans colle ni clou, ils témoignent de ce que l’artiste qualifie d’une performance ou d’une chorégraphie privée, désignant le moment où, suite à son processus de glanage, celle-ci s’enferme la nuit dans la galerie – aidée de caféine ou de boissons énergisantes – afin de se livrer au travail de composition en tant que tel, réalisé en quelques heures. S’il en va d’une démonstration de force, réappropriée à la rhétorique testostéronée des sculpteurs mâles de l’histoire, catégorie bien établie des promos d’écoles d’art d’aujourd’hui encore – la qualité formelle déborde la simple maestria gestuelle.
Du geste retiré à la capture reste autant de mues, composées de caddies et poteaux, baignoires et troncs d’arbres, dont chaque élément entretient, le temps de l’exposition, une conversation secrète, murmurant de leur langage d’artefacts mis au rebus des narrations éphémères et charnelles, tout en déployant un opéra de choses à parts égales tragique et comique.
Ser Serpas, jusqu’au 4 décembre dans les deux espaces de la galerie Balice Hertling, Paris et dans le cadre d’Ouverture, l’accrochage inaugural de la Bourse de Commerce – Pinault Collection, jusqu’au 31 décembre, Paris.
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