David Strosberg réussit une mise en scène hilarante de « Schitz » d’Hanokh Levin, et pointe l’insatiable appétit de pouvoir et de richesse de nos contemporains.
Plus c’est gros, mieux ça passe… Toute la réussite de la mise en scène de Schitz d’Hanokh Levin par David Strosberg tient dans cet adage. Au sens propre comme au sens figuré. Schitz est l’histoire d’une famille, le père, la mère et la fille, sur qui le futur gendre jette son dévolu. Pour l’argent, pas pour l’amour ni pour la beauté. La fille est grosse, laide et passe ses journées à se goinfrer de cacahuètes, de sandwichs et de frites. Mais le père possède deux camions et 50 % des parts d’une entreprise florissante.
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Hilarante, la pièce d’Hanokh Levin l’est par son feu croisé de dialogues où tout ce qui est dit l’est sans faux-semblant. Pas de sous-texte, pas de sous-entendu, pas de maquillage des sentiments. La vérité brute et crue sort de la bouche de chaque personnage avec la puissance corrosive d’un lance-flammes. D’ailleurs, la guerre rôde et, avec elle, l’occasion de s’enrichir encore plus. Car, derrière la comédie hautement burlesque de l’auteur israélien, se cache une radiographie au scalpel de la société. Pour David Strosberg, “la seule valeur qui traverse la pièce est celle de la rentabilité. Tout est chiffré, le souci du gain a complètement remplacé les sentiments. Ce qui se passe dans cette pièce est très choquant, mais très réel aussi. Je trouve que cette pièce de 1975 est un miroir très juste de la société dans laquelle nous vivons. Cette famille est le miroir d’une société prise dans une spirale mortifère de haine et de pouvoir, les individus y sont dépourvus de toute conscience morale. Cette société, c’est la nôtre.”
Schitz est un piège théâtral, la caricature son premier danger. David Strosberg l’a bien compris en choisissant de privilégier sobriété et sincérité dans le jeu des acteurs, l’énormité des situations jouées étant figurée par un artifice radical : rendre toute la famille obèse – illusion parfaite obtenue par des costumes qui en donnent réellement l’apparence aux personnages. A l’exception notable du futur gendre qui asticote ses proies avec l’agilité d’un moustique qui virevolte en tous sens. Dès lors, tout fait mouche.
Plus c’est noir, plus on rit
De l’entrée en scène des personnages qui peinent à enfoncer une porte ouverte où leur embonpoint se coince, à l’enchaînement des scènes où chacun veut tirer son épingle du jeu avec la délicatesse d’un éléphant ivre dans un magasin de porcelaine, la mécanique verbale se coule avec délectation dans le jeu des personnages, qui n’ont rien à cacher et se vautrent avec délectation dans leur énormité.
Plus c’est noir, plus on rit. C’est normal, relève David Strosberg : “Kurt Tucholsky disait : ‘L’humour, c’est quand on rit quand même.’ C’est l’effet que produit ce texte.” A quoi on ajoutera le talent des comédiens, tous impeccables.
Schitz d’Hanokh Levin, mise en scène David Strosberg, jusqu’au 16 avril au Théâtre de la Bastille, Paris XIe, theatre-bastille.com
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