Ode à la renaissance après la catastrophe, le spectacle stupéfie par l’élan virtuose qui unit ses interprètes, acrobates, contorsionnistes et danseur·euses.
Du trampoline, son agrès fétiche, Mathurin Bolze a fait le support d’une métaphore qui se duplique, spectacle après spectacle : un rêve d’Icare qui retombe toujours sur ses pieds et arpente l’espace avec la liberté folle de celui qui se joue de la pesanteur et la transforme en terrain de jeu. On n’oubliera jamais son apparition dans le spectacle de François Verret, Kaspar Konzert, en 1998, à sa sortie du Centre national des arts du cirque, enfermé dans une cage dont il s’échappait avec la souplesse d’un félin.
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Six acrobates et danseur·euses et deux trampolines
Depuis 2001, au sein de sa compagnie, la bien nommée MPTA (les mains, les pieds et la tête aussi), il enchaîne les spectacles comme autant de rencontres avec des artistes circassien·nes, comédien·nes, musicien·nes et metteur·ses en scène.
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Son dernier opus, Les Hauts Plateaux, est créé et interprété par les six acrobates et danseur·euses qui l’accompagnent, un collectif dans l’âme qui opère à merveille. Rêvée comme un livre pop-up, la scénographie de Didier Goury déploie une multitude de scènes où s’arriment deux trampolines, générant plusieurs niveaux de jeu qui interagissent entre eux. Aussi sophistiquée soit-elle, elle fut pourtant entièrement remaniée à un mois de la création et se présente d’abord en aplat, “comme après un blast, une catastrophe, à partir de quoi le spectacle agit comme une reconstruction”.
En dessous et au-dessus du plateau, des abris temporaires rassemblent bricoleur·ses et lecteur·rices assidu·es, indifférent·es aux ombres des silhouettes qui tracent leurs courses sur le plateau. A jardin, une cabine de Plexiglas enferme un homme, lecteur lui aussi et observateur incrédule de son environnement.
L’échelle suspendue par des cintres qui réinvente l’art du trapèze en duo, en étirant jusqu’au vertige son aire de jeu
Point de départ des Hauts Plateaux, des “thématiques tamisées, révélées par nos lectures”, indique Mathurin Bolze en citant La Supplication de Svetlana Alexievich, un essai consacré à la catastrophe de Tchernobyl, et Le Champignon de la fin du monde de l’anthropologue Anna Lowenhaupt Tsing “qui réfléchit sur les possibilités de vivre dans les ruines du capitalisme à partir de l’étude du matsutaké, un champignon qui pousse au Japon dans les lieux contaminés par l’homme”.
Cette graine d’espoir irrigue Les Hauts Plateaux et sidère par l’éclatante beauté des tableaux, créés avec les trampolines ou l’échelle suspendue par des cintres qui réinvente l’art du trapèze en duo, en étirant jusqu’au vertige son aire de jeu. Chorégraphiée et ciselée à l’extrême, l’exploration des figures collectives ou individuelles, générées par le doublement des trampolines et la variation de leur inclinaison, est stupéfiante, d’une rare poésie et d’un humour ravageur.
Contorsionnistes du corps et de l’esprit
Le talent de chacun s’y déploie avec une amplitude presque irréelle tant elle génère d’états de corps, indifférents aux limites imposées au commun des mortels. Contorsionnistes du corps et de l’esprit, la joyeuse bande des Hauts Plateaux nous élève, en douceur, vers un état de grâce qui ne nous lâche plus.
Les Hauts Plateaux conception Mathurin Bolze, de et avec Anahi De Las Cuevas, Julie Tavert, Johan Caussin, Frédéri Vernier, Corentin Diana, Andres Labarca, Mathurin Bolze. Du 23 au 25 octobre au festival Circa, Auch. Les 6 et 7 novembre au Cratère, Alès. Tournée jusqu’en juin 2021
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