A Dijon, la troisième Biennale internationale du Consortium Museum redécouvre l’artiste italien, qui se joue des volumes géométriques autant que des conventions.
Les insoumis, l’histoire n’aime pas trop ça. Ce n’est pas pratique car on ne sait jamais trop où les ranger. L’Italien Salvo, né Salvatore Mangione en 1947 et disparu en 2015, est de ceux-là. On le découvre cet été à Dijon, au Consortium, qui profite tous les deux ans de l’interlude estival pour dévoiler ses “envies d’artistes”. “Pour une fois, le projet de faire exposition n’arrive pas en premier”, glisse Eric Troncy, le même qui, à la fin des années 1990, popularisa l’exposition dite “d’auteur”. La direction du lieu ainsi que la sélection désirante, il la partage avec Stéphanie Moisdon.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Chacun choisit ses artistes et ensuite on voit ce qu’il se passe. C’est-à-dire que l’on ne va pas commencer à se dire qu’il faudrait plus de vidéo, de femmes, de ceci ou de cela.” Si l’exercice réussit à dépasser la collection de belles images (après tout, on pourrait vite glisser de l’almanach au calendrier des Postes), c’est qu’on cultive entre ces murs un goût sûr. L’an passé, le New York Times s’émerveillait de ce musée frenchy “sous le radar” qui parvenait, mine de rien, à prédire “les prochaines stars de l’art”.
Un formidable dédain des conventions
Cet été, on s’arrête surtout devant cette charade en cinq lettres nommée Salvo. Digne d’une mini-rétrospective, l’accrochage réunit une quinzaine de tableaux peints entre 1998 et 2010. Tous représentent des paysages idylliques traités au moyen de volumes géométriques simplifiés, presque “tubesques” comme on le dit parfois des œuvres de Fernand Léger. Les tons rose, violet, orange et vert francs, en revanche, ne ressemblent à rien de connu et traduisent avant tout un formidable dédain des conventions.
Plus que la peinture, ce serait bien cette versatilité-là qui caractérise Salvo. A partir de 1968, il est proche de la jeune garde de Turin, où des artistes comme Alighiero Boetti, Giuseppe Penone ou Mario Merz inventent ce qui deviendra le mouvement de l’Arte povera. Proche, mais sans y adhérer. Ce n’est pas que Salvo n’ait pas connu le succès, bien au contraire. De son vivant, il est célébré à la Biennale de Venise et à la Documenta 5. A Paris, il expose à la galerie Yvon Lambert, fief des artistes minimalistes et conceptuels américains.
Après Dijon, deux expos à Marseille
Mais Salvo est trop fier, trop imprévisible. Alors que ses compagnons de route de l’Arte povera célèbrent la nature, Salvo se représente en Raphaël. Puis, en plein triomphe de l’art conceptuel, il se met à peindre des paysages naïfs. Sa redécouverte actuelle ne consacre pas seulement la qualité intrinsèque de son œuvre. C’est aussi un geste fort qui résonne au sein du processus de réécriture de l’histoire de l’art. Alors que les groupes oubliés bénéficient enfin d’une reconnaissance méritée, la contrepartie est l’émergence de nouvelles catégories normatives qui célèbrent l’art “des femmes”, l’art “queer” ou de tel ou tel continent.
Mettre en lumière l’œuvre d’artistes singuliers, solitaires et inclassables permettra, espérons-le, de tempérer ces élans et de recentrer les débats sur ce qui est produit plutôt que sur leur auteur. En ce qui concerne Salvo, l’engouement est bel et bien en train de prendre. A la fin du mois, deux lieux le mettront à l’honneur lors de la foire Art-O-Rama à Marseille : la galerie Norma Mangione (sa fille) et la galerie Crèvecœur.
L’Almanach 18 Troisième Biennale internationale d’art contemporain du Consortium Museum de Dijon, jusqu’au 14 octobre
{"type":"Banniere-Basse"}