Le monde du spectacle vivant réagit pour les Inrockuptibles au report de la réouverture des salles de spectacle jusqu’au 7 janvier au moins.
Le couperet est tombé jeudi 10 décembre à 18 heures lorsque le Premier ministre, Jean Castex, a annoncé qu’en raison de la situation sanitaire les théâtres, les salles de concert et les cinémas ne rouvriraient pas le 15 décembre – elles resteront finalement fermées jusqu’au 7 janvier a minima. “C’est le désastre absolu pour les artistes et techniciens intermittents du spectacle, martèle Stanislas Nordey, metteur en scène et directeur du TNS de Strasbourg. Il faut absolument que le budget pour lequel se bat la ministre de la Culture soit fléché au maximum sur les plus fragiles, les petits lieux, les compagnies, les jeunes artistes. Ce que pose cette décision, c’est une question philosophique qui concerne la société dans son ensemble. Pourquoi rouvrir les magasins et les lieux de culte avant les lieux culturels ? Mais l’énorme colère qu’on a ressentie hier, c’est la ‘close de revoyure au 7 janvier’. Ce n’est pas possible. Il faut qu’on nous donne une date. Les équipes sont épuisées, particulièrement à l’accueil, la billetterie, les techniciens qui montent et démontent les décors. On sent monter un immense ras-le-bol. L’incertitude nous tue et je réclame que ce gouvernement revienne sur sa décision en nous fixant une date de réouverture pour qu’on puisse travailler à partir de ça.”
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Même réaction de la part d’Emmanuel Demarcy-Mota, metteur en scène, directeur du théâtre de la Ville et du festival d’Automne à Paris. “2020…. c’est deux fois zéro, deux fois zéro, c’est-à-dire zéro partout ! C’est ma pensée du jour, il ne me reste plus que ça, réfléchir sur ce chiffre magique. En plus, comme on a découvert hier qu’être testé négatif, c’est positif, on a vraiment atteint le sommet… On a compris qu’on ne sait plus rien, c’est l’année de René Descartes, le doute métaphysique absolu sur l’existence. Ce que je pense de la déclaration du gouvernement d’hier ? On a vraiment une problématique de représentation de la parole… On avait tout organisé pour que le théâtre de la Ville puisse être ouvert pendant la période des fêtes. Dans ce que nous défendons, il est essentiel que les théâtres qui défendent une mission de service public la tiennent en montrant leur capacité d’ouverture. Le monde de la culture se doutait que ça ne se passerait peut-être pas comme on le souhaitait et on avait anticipé le risque que tout s’arrête à nouveau, mais on est sidérés par la manière dont ça arrive. Il ne s’agit pas de se lamenter sur son propre sort, mais de se dire : qu’est-ce qu’on va pouvoir construire ? Cela génère beaucoup d’incompréhensions devant des contradictions flagrantes : certains lieux ouverts, d’autres fermés.”
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Les théâtres se réorganisent
Passée la sidération des annonces, lui et ses équipes ont travaillé jusqu’à 4 heures du matin pour réorganiser la programmation du théâtre de la Ville. Presque une habitude : c’est la troisième période d’annulations et de remboursements cette année : 64 représentations étaient prévues entre le 15 décembre et le 7 janvier, pour neuf spectacles. Total : 15 000 places à rembourser. Du 13 mars au 21 juin, c’étaient 46 spectacles annulés pour 200 représentations, et du 30 octobre au 14 décembre, 27 spectacles annulés pour 130 représentations. Finalement, l’année se sera passée à trouver des reports pour les spectacles annulés, à accompagner les artistes. Idem pour le festival d’Automne à Paris. Depuis hier soir, des solutions de reports pour les spectacles qui devaient se jouer à partir du 15 décembre sont à l’étude.
Mais pour autant, il se passera des choses au théâtre de la Ville pendant les fêtes de Noël. Des spectacles seront filmés en direct et visibles par le public sur le site du théâtre. Alice traverse le miroir de Fabrice Melquiot, mis en scène par Emmanuel Demarcy-Mota sera visible par 500 écoles sur le territoire lors du direct programmé le 18 décembre à 10h du matin, et pourra ainsi toucher 30 000 enfants. Un autre direct du spectacle est prévu le 19 décembre dans le cadre d’une convention avec les hôpitaux pour les enfants malades. La compagnie de danse d’Hofesh Shechter, dont le spectacle Political Mother Unplugged est annulé pour la deuxième fois, jouera également en direct. Mais surtout, deux projets se sont élaborés dans la nuit, soutenus par la Mairie de Paris : “Le 23 décembre, on va organiser une scène extérieure de 10h à 18h pour fêter Noël de manière artistique où tous ceux qui sont empêchés de travailler seront invités à présenter leur travail durant 10 à 30 minutes. Et le 31 décembre, ce sera une Nuit du théâtre où nous diffuserons tous les directs (25 depuis le début du deuxième confinement, ainsi que des interviews) qui se sont déroulés au théâtre. Il s’agit de maintenir notre engagement d’ouverture d’un théâtre et de maintenir nos rendez-vous pour être ensemble même si on en est empêchés.”
La lettre ouverte de Samuel Churin
Enfin, Samuel Churin, comédien et porte-parole des intermittents, a fait paraître une Lettre ouverte aux directeurs de cinémas et de salles de spectacle, dans laquelle il passe clairement à l’offensive. En voici un extrait :
“Arrêtons d’être défensifs et optons pour des stratégies offensives. Le Gouvernement décide que les cinémas et théâtres ne rouvriront pas le 15 décembre et il est certain que les pétitions n’inverseront pas cette décision. La seule solution : attaquer le gouvernement au conseil d’état avec un référé-liberté.
Le référé-liberté est une procédure qui permet de saisir en urgence le juge administratif lorsqu’on estime que l’administration (État, collectivités territoriales, établissements publics) porte atteinte à une liberté fondamentale (liberté d’expression, droit au respect de la vie privée et familiale, droit d’asile, etc.). Le juge des référés a des pouvoirs étendus : il peut suspendre une décision de l’administration ou lui ordonner de prendre des mesures particulières.
Pour rappel les professionnels de la restauration et des stations de sports d’hiver l’ont fait et leurs demandes n’ont pas été retenues. Seule l’Eglise a gagné et le gouvernement a dû revoir sa copie sur la limitation à 30 personnes lors des cérémonies religieuses : la jauge est calculée en fonction de la superficie, elle n’est plus limitée.
Pourquoi ce référé-liberté devrait être gagnant ?
Parce que les juges administratifs du conseil d’état sont très attachés à la notion d’équité. Et les conditions d’accueil dans une église sont en tous points comparables à celles d’un cinéma ou salle de spectacle. Chacun est assis, masqué, ne bouge pas et tous regardent dans la même direction.
Ironie de l’histoire, Jean Castex lors de la présentation de sa loi sur le séparatisme n’a cessé de vanter la laïcité à la française. Or, dans les faits, les églises sont ouvertes et les théâtres sont fermés !
Nous n’avons que trop tardé.
J’appelle donc les directeurs de cinémas, théâtres et autres lieux de spectacle à déposer de toute urgence un référé-liberté au conseil d’état. Cette démarche est essentielle. Et si le juge nous donne tort, il devra justifier sa décision.
J’ai hâte de savoir en quoi le fait d’assister au récit de la naissance d’un homme nommé Jésus serait sans danger, alors que le récit d’un homme nommé tartuffe serait source de contamination.”
Nous aussi…
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