Entre fiction et documentaire, le spectacle nous plonge au cœur d’un village français, miroir des tensions du monde et des paradoxes de la société.
“Nous, on travaille avec le réel”, dit l’un des acteurs de Saint-Félix, drame bucolique et sociétal au cœur de la société française. La France qui se déploie dans le spectacle d’Elise Chatauret n’est pas la cynique et inique start-up nation d’Emmanuel Macron. Elle n’est pas non plus l’énervé, atrabilaire et caricatural pays de François Ruffin.
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Saint-Félix, c’est la France dans toute son éternité, celle de Simenon et de Depardon, fraternelle mais un peu inquiète, conservatrice mais toujours en quête de nouvelles inventions, généreuse et raciste, paradoxale avec passion qui, dans ses replis identitaires, peut faire montre de la plus grande ouverture d’esprit.
Photographie vivante
La France qui, de ses récits locaux, ses rumeurs, ses histoires non dites, compose un roman national épique et fantastique. A l’opposé de celui que tentent de nous faire gober les populistes d’aujourd’hui, s’arc-boutant de leurs extrémités gauche et droite pour mieux se retrouver sur des clichés réactionnaires et éculés.
La photographie vivante du réel de la société française que prend Elise Chatauret à travers l’image de Saint-Félix est toute de profondeur, de variations chromatiques et de subtils détails. Fruit d’un long travail documentaire auprès des habitants de Saint-Félix, quelque part en France, le spectacle est une reconstitution mi-policière mi-sociologique de la vie telle qu’elle se déroule dans un hameau français.
Ludique, l’aventure est racontée autant qu’elle est jouée dans une ingénieuse et modeste scénographie signée Charles Chauvet, recomposant en miniature le village qui se dévoile par touches impressionnistes au gré des récits délivrés. Anciens et nouveaux, jeunes et vieux, locaux et étrangers, des agriculteurs bien sûr mais pas que, édiles et citoyens, marginaux…
Renversements du réel
S’ils sont peu nombreux, les habitants de Saint-Félix – interprétés par quatre comédiens – semblent composer un échantillonnage parfait de ce que l’on pourrait nommer, pour une fois à bon escient, le peuple français. A l’instar de la scénographie qui, d’un plateau nu, devient un magnifique diorama mélancolique comme une toile romantique colorée par les descriptions bucoliques de Chateaubriand, le récit, d’anecdotique et documentaire, se déploie dans les contre-allées poétiques de la fiction jusqu’à composer une œuvre fantastique au sens littéraire du mot.
Et c’est certainement dans ces renversements du réel que ce spectacle, candide par moments, puise sa sincérité. Car parfois, à trop vouloir embrasser on mal étreint et à trop aimer, on vire mièvre. C’est l’écueil que frôle de très près Saint-Félix sans pour autant y sombrer, sauvé de ce mauvais pas par le fantôme de l’énigmatique Lucie, jeune femme morte au village, qui vient hanter tous les esprits.
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