Dans un décor de restaurant vietnamien et sur fond de chansons populaires, Caroline Guiela Nguyen raconte le déracinement et les amours contrariées.
C’est un îlot de nostalgie où la gastronomie cristallise les bonheurs du passé. Réplique fidèle d’une de ces cantines vietnamiennes qui essaiment à Paris dans le XIIIe arrondissement, le décor de Saigon de Caroline Guiela Nguyen se joue du réalisme d’une salle de restaurant pour mieux la transformer en une chambre d’échos dédiée à la mémoire d’un peuple d’immigrés.
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De la cuisine ouverte sur la salle à la façade en vitrine sur la rue, la lumière crue de quelques néons transforme la peinture bleue des murs en une mer transparente propice à la pêche aux souvenirs. Depuis 1975, Saigon se nomme Hô-Chi-Minh-Ville, mais pour ceux qui ont quitté leur pays en 1956 et qu’on nomme les Viet-kieu, littéralement “Vietnamiens étrangers”, Saigon est une ville intemporelle où demeurent leurs racines. Ce parcours fut celui de la mère de Caroline Guiela Nguyen. La metteure en scène, à qui sa mère n’a pas transmis sa langue, fait de cette pièce l’occasion d’un très personnel retour aux sources.
Pas question de se livrer à un théâtre documentaire
Dans le rôle de la patronne du lieu, l’actrice My Chau Nguyen Thi est une formidable diva des fourneaux et une souveraine dans sa salle. Elle partage avec Anh et Hiep Tran Nghia, un couple incarnant de vieux habitués de son restaurant, la responsabilité de témoigner de l’esprit de résistance qui anime depuis toujours les Viet-kieu.
Suite à plusieurs résidences de travail au Vietnam, le reste de la distribution se répartit entre les comédiens français de la troupe de Caroline Guiela Nguyen et quatre jeunes acteurs vietnamiens rencontrés à Hô-Chi-Minh-Ville. Saigon peut ainsi revenir sur l’histoire des liens entre la France et le Vietnam en réunissant un panel générationnel pouvant témoigner aussi bien de la situation d’aujourd’hui que de celle de l’Indochine après la chute de Dien Bien Phu.
Pour autant, pas question pour Caroline Guiela Nguyen de se livrer à un théâtre documentaire traitant de la violence des ratés du colonialisme à la française. Si l’on interroge la grande histoire à toutes les époques dans Saigon, c’est en utilisant le prisme romantique des amours impossibles réunissant des êtres des deux cultures.
De l’importance des fleurs et du karaoké
“Le mélodrame est omniprésent dans la vie quotidienne des Vietnamiens, précise la metteure en scène. Il y a toujours quelqu’un à pleurer et tout l’enjeu de notre spectacle est de retrouver ce trajet des larmes.”
C’est à travers le karaoké, ses chansons populaires marquées par l’exil, l’amour et l’importance des fleurs que Caroline Guiela Nguyen construit son récit. Aline de Christophe et Je vivrai pour deux de Sylvie Vartan sont des hymnes qui s’accordent aux standards des chansons vietnamiennes à l’eau de rose pour tisser la vérité d’une histoire partagée. Rendre hommage à ces unions contrariées passe alors par le trouble d’un regard qui se baigne de nos larmes.
Saigon Conception et mise en scène Caroline Guiela Nguyen, en français et vietnamien surtitré, du 12 janvier au 10 février, Odéon-Théâtre de l’Europe aux Ateliers Berthier, Paris XVIIe
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