Le metteur en scène réhabilite la figure de Caïn dans cet oratorio de Scarlatti donné pour la première fois à l’Opéra de Paris.
Avec cet oratorio de Scarlatti, Il primo omicidio, où le librettiste Antonio Ottoboni reprend le récit du meurtre d’Abel par Caïn au chapitre 4 de la Genèse, Romeo Castellucci retrouve un thème qui lui a déjà inspiré un spectacle inoubliable, Genesi, en 1999. Innocence et culpabilité font du jugement de Dieu une question à double tranchant.
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Qui est responsable de ce meurtre inspiré par Lucifer à un Caïn désemparé ?
Qui juge qui, dans l’histoire du premier meurtre de l’humanité ? Caïn s’en rend coupable, parce que Dieu refuse son offrande – la moisson des fruits de la terre qu’il cultive –, lui préférant le sacrifice de l’agneau offert par son frère Abel. Qui est responsable de ce meurtre inspiré par Lucifer à un Caïn désemparé ?
Faire le procès de Dieu
“Par cet acte, relève Romeo Castellucci, il inaugure une tradition qui traverse toute l’histoire hébraïque : il fait le procès de Dieu en lui demandant des comptes à propos de son choix arbitraire.” Six voix se font entendre : Adam et Eve, Abel et Caïn, Dieu et Lucifer, vêtus avec austérité dans des tons ternes qui renvoient aux années 1950, lorsque le monde se relevait difficilement de la boucherie de la Seconde Guerre mondiale.
Dans la première partie, les interprètes sont placés en avant-scène devant une toile opaque derrière laquelle l’espace de la création se donne à voir dans des effets de lumière mouvants. Des masses de couleurs ondoyantes se lèvent et s’abaissent, laissant apparaître une ligne de feu, ou s’estompent dans des teintes bleutées qui s’accordent aux paroles des chanteurs.
Pendant que le drame se joue sous nos yeux, l’espace s’offre alors comme “une référence à l’expérience de la contemplation que nous connaissons face aux tableaux de Rothko”, indique le metteur en scène. A la direction musicale, René Jacobs partage cet état, mains caressantes et bouche murmurant pour lui-même les paroles qui touchent par l’étendue de la douleur qui se répand sur toute la création. D’ailleurs, la punition de Dieu envers Caïn sera de vivre et de ne pouvoir échapper au souvenir de son crime.
Herbes folles
Changement de registre à la seconde partie, où Romeo Castellucci prend le parti de l’innocence intrinsèque. Chaque chanteur, placé dans la fosse d’orchestre, est doublé par un enfant qui mime le chant sans proférer de son, tout en caracolant parmi les herbes folles ou construisant un mur de pierres, sur le plateau transformé en vaste champ.
Bientôt, une nuée d’enfants envahit la scène : l’innocence recouvre le péché et renverse la notion de culpabilité. Pour Romeo Castellucci, c’est clair, “Caïn était l’innocent, la véritable proie capturée en un piège victimaire”. La beauté de la musique et la clarté des voix s’accordent à cette vision d’un homme dont la douleur nous est proche et s’offrent alors comme un réconfort, un apaisement puissant.
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