Rencontre avec le metteur en scène Rodrigo García à l’occasion de 4, sa dernière création, la première depuis qu’il dirige Humain trop humain, le Centre dramatique national de Montpellier.
Comment avez-vous abordé cette première création à Montpellier ?
Rodrigo García – En général, quand un metteur en scène s’apprête à créer une pièce, il a toujours deux ou trois idées d’avance… Moi, je n’arrive jamais à préméditer le contenu de mes créations. Alors et comme d’habitude, j’ai commencé à savoir ce que j’allais faire en travaillant sur le plateau avec les acteurs.
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Avez-vous une méthode ?
Pour cette pièce, j’ai inventé une méthode que je n’avais jamais expérimentée avant. Je suis quelqu’un qui ne se souvient pas de ses rêves. Depuis six mois, j’ai mis en place une stratégie pour m’en rappeler chaque matin en restant sous la couette pendant une demi-heure de plus. Je fais semblant de dormir et j’arrive ainsi à récupérer des images de mes rêves. Cela ne veut pas dire que le spectacle s’est construit à partir de ces images. Mais, c’est l’expérience de cet état qui me permet de réactiver le rêve que j’ai essayé de mettre au service de ma création. Retrouver ce moment matinal que je trouve enchanteur et qui me rend heureux a contribué aux séquences de jeux que je donne à voir dans 4.
Pouvez-vous nous donner des exemples ?
Je voulais travailler avec des coqs vivants à qui je ferais porter des baskets d’enfant. Je voulais aussi avoir une image de la perspective de la Galerie des glaces du Château de Versailles. C’est ce type de croisement que fabrique la matière de mes images. Ce sont des rencontres qui tiennent du pur hasard. Je voulais aussi parler du sujet de ces concours où l’on transforme des gamines en mini miss de beauté. Je voulais la présence d’un samouraï, comme dans les films de Kurosawa. Le fait que le samouraï rencontre les petites filles sur le plateau est à l’origine d’une des images de la pièce. Rien de tout ça n’était prémédité.
Quels rapports créez-vous entre vos textes et ces images ?
Certains de mes textes accompagnent cette démarche onirique, d’autres la brisent totalement. J’aime alterner les genres, du littéraire au totalement dégoûtant. Ma pratique de l’écriture est toujours séparée de l’invention des images, leur rencontre est le résultat d’un collage. Pour faire réagir le public, je prends souvent le contre-pied de ce que je pense. Le théâtre ne peut être le lieu des idées consensuelles. Cela m’a toujours coûté de recycler des discours et des vannes réactionnaires ou carrément fascistes… Mais, c’est la meilleure façon de se rendre compte de qui est assis à côté de vous au théâtre.
Où est alors le vrai et où est le faux ?
Le vrai dans cette pièce, c’est que certains textes sont écrits à partir de mes souvenirs d’enfance et des pulsions sexuelles que j’avais à l’âge de 8 ans. Le faux, c’est que je me dois aussi d’inscrire ces vérités au milieu d’autres révélations qui, elles, sont de pures fictions. Il s’agit de faire œuvre d’écriture et pas de me lancer des confessions. Mais, ce fut très important de pouvoir écrire à partir du vécu de mes expériences d’enfant pour aborder le sujet tabou de la sexualité chez les enfants.
Suite à la présentation de votre pièce Golgota Picnic en 2011, votre éditeur, Les Solitaires intempestifs, et Jean-Michel Ribes, le directeur du théâtre du Rond-Point, sont poursuivis en justice pour “Appel à la haine envers les catholiques” par une association traditionaliste. Quels sont vos commentaires sur cette affaire ?
On ne m’a rien demandé. Personne ne m’a appelé pour aller témoigner au tribunal. Mais, déranger un juge, censé s’occuper de crimes et d’affaires sérieuses, parce que j’ai parlé du Christ au milieu d’un pique-nique avec des hamburgers me semble être une pure perte de temps. Je n’étais pas la cible de ce procès. Cela ne me met pas pour autant à l’abri de la folie des gens. Je me suis fait agresser dernièrement en pleine rue à Montpellier.
En lien avec votre performance où vous faites griller un homard sur scène ?
Oui, exactement. Et je vous parle d’un événement qui remonte à une dizaine de jours… Une femme qui me suivait s’est approchée de moi pour me parler. Elle a sorti de son sac un spray de gaz lacrymogène et m’a aspergé les yeux en hurlant : “C’est toi qui as tué le homard”… C’est aussi terrifiant que proprement hallucinant.
Propos recueillis par Patrick Sourd
4 Texte, espace scénique et mise en scène Rodrigo García. Festival d’automne. Théâtre Nanterre Amandiers, en espagnol surtitré en français, du 11 au 22 novembre.
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