Enceinte, accompagnée de sa mère et de la chanteuse Sílvia Pérez Cruz, Rocio Molina place le furieux Grito pelao sous le signe de la transmission. Et bouscule la tradition flamenca.
Qu’est-ce que l’intimité pour une artiste jouant chaque soir avec son image, la fiction autant que le réel ? D’une certaine façon, Rocio Molina, prêtresse du flamenco nouveau, ne répond pas directement à cette question, mais elle en fait le fil conducteur – quoique invisible – de Grito pelao, s’exposant aux regards, fière et… enceinte. De ce désir de maternité, sans renoncer pour autant à son art, Molina fait un spectacle. “Je veux m’approcher d’une certaine vérité.”
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Sur le plateau épuré, animé de projections vidéo, elle convoque ainsi une famille – au propre comme au figuré : il y a Lola Cruz, sa propre mère, Sílvia Pérez Cruz, chanteuse et complice, sans oublier un quatuor de musiciens aux talents multiples. Grito pelao, le “cri écorché” en français, c’est donc celui d’un être à venir.
Peut-être aussi celui de Rocio Molina elle-même implorant son flamenco. “Le fait d’être une femme qui décide d’avoir un enfant seule représente déjà une peur en soi. Comme un engagement envers soi-même. D’où la nécessité d’être en accord avec cela sur scène”, nous confiait la native de Malaga il y a peu.
Des caresses, des frappes au sol, un travail des bras superbe, Grito pelao emprunte bien des voies pour donner matière à cette danse transmise de génération en génération. Y compris celle à naître. Comme souvent avec Rocio Molina, le plus beau n’est que surprise, ici l’apparition d’une femme à barbe – Rocio bien sûr ! –, là cette vision d’une petite sainte à genoux – Lola Cruz.
Renouant avec la poésie tout entière contenue dans le flamenco, Sílvia Pérez Cruz fait de chacune de ses apparitions chantées un sommet d’émotion : “Rance et liquide/De cet amour bestial/Amour animal/Qui te serre et brûle/Et cède.” Sa voix se fait jazz ou flamenca, essayant de dompter le mistral l’accompagnant ce soir de première dans la cour du lycée Saint-Joseph à Avignon. Tout n’est pas aussi fort dans cette œuvre évolutive – Rocio Molina va la danser jusqu’au septième mois de gestation.
Le finale, qui la voit, nue, flotter dans un bain tel un liquide amniotique, est dispensable. Certaines situations sont surlignées par la dramaturgie alors que le mouvement se suffirait à lui-même. Dommage. Molina alterne d’ailleurs gestes affolés et chorégraphie apaisée tout au long de la représentation. Comme à l’écoute de son corps.
Mais Grito pelao est aussi et surtout une déclaration à la danse. “Je ne connais pas d’autre vie que celle-là. J’ai accepté d’être mariée à mon art. Ce n’est pas triste pour autant. Il y en a d’autres possibles. Mais je n’échangerais pas la mienne”, dit encore Rocio Molina. Une vie, mais désormais à deux. Philippe Noisette
Grito pelao Conception Rocio Molina, création au Festival d’Avignon. Du 2 au 4 octobre à Nîmes, du 9 au 11 au Théâtre national de Chaillot, Paris XVIe
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