Avec Rêve et folie de Georg Trakl, Claude Régy offre à l’acteur Yann Boudaud un monologue d’anthologie aux allures de rituel chamanique. Le rendez-vous incontournable de cette rentrée.
Instants déjà suspendus, le silence s’impose de lui-même quand les spectateurs s’installent dans la pénombre de la salle comme dans une crypte. Prenant place sur un gradin cadrant l’arc tendu d’une voûte, on devine la scène dans le noir pareille à une porte ouverte sur une nuit encore plus profonde…
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Celle de l’œuvre du poète allemand Georg Trakl qu’évoque avec Rêve et folie le metteur en scène Claude Régy. Un texte de cinq pages déployant dans la fiction d’un récit aux allures de cauchemar l’autobiographie d’un homme qui ignora la normalité pour n’exister qu’au-delà des interdits.
“L’alcoolisme et la drogue, l’inceste”
Un CV chargé que Régy résume d’une phrase : “L’alcoolisme et la drogue, l’inceste avec une sœur qui remonte à sa première enfance et la rencontre très jeune avec des prostituées, la persistance des traces d’une éducation chrétienne et un goût immodéré pour l’autodestruction.” Pharmacien-soldat envoyé sur le front en 1914, Georg Trakl ne meurt pas à 28 ans sous le feu ennemi mais d’une overdose de cocaïne censée soulager la souffrance des blessés.
Bataillant sans cesse avec la langue pour l’accorder à ses visions, Georg Trakl peste sur les limites du possible d’écrire. “Le mot dans sa paresse cherche en vain à saisir au vol/L’insaisissable que l’on touche dans le sombre silence/Aux frontières ultimes de notre esprit.”
Débusquer le sens entre les mots
Phénoménale concordance de pensée, la remarque, à cent ans d’intervalle, pourrait aussi définir le théâtre de Claude Régy tant la pratique de ses rituels d’ombres allant débusquer le sens entre les mots trouve une parfaite résonance avec celle que l’auteur appelle de ses vœux. Avec ce spectacle, qu’il annonce comme étant son dernier, Claude Régy relève à 93 ans l’ultime défi d’entraîner ce texte à l’endroit précis où Trakl en avait pointé la source.
Ces zones de danger où les fantasmes deviennent réalité
Sous la voûte devenue laiteuse, Rêve et folie s’incarne alors à travers le corps de Yann Boudaud. Seul en scène, il ne fait qu’un avec une lumière qui brouille notre perception dans le pointillisme de ses grains où le noir et le blanc – et parfois la couleur – semblent donner à l’inerte et au vivant l’aspect d’une seule et même matière.
Gestuelle de danseur quasi immobile, voix de chaman au timbre vibrant, l’acteur joue les médiums dans un fabuleux cabaret qui nous tend la main pour nous attirer vers ces zones de danger où les fantasmes deviennent réalité.
La poésie de Trakl trouve alors sa juste chambre d’échos dans le cérémonial d’une expérimentation des mots qui ouvre sur le débordement des sens. L’exploit d’un passage à l’acte qui ose tutoyer la poésie sur le terrain de son immatérialité.
Rêve et folie de Georg Trakl, mise en scène Claude Régy, avec Yann Boudaud, jusqu’au 21 octobre au Théâtre Nanterre-Amandiers, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris
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