La galerie Balice Hertling dédie un accrochage à Behjat Sadr que l’on connaissait jusqu’alors surtout comme peintre abstraite mais qui par cette rétrospective dévoile ses photocollages et photographies largement méconnus. Une (re)découverte.
L’eau, la lumière et le pétrole. Ces trois matières principales, Behjat Sadr les rend noueuses comme un tronc d’arbre, glissantes comme une flaque d’huile ou striées comme l’ombre projetée par d’épaisses persiennes. A travers ses peintures sur toile ou sur panneau, ses sculptures cinétiques, ses photocollages ou ses photographies, l’artiste élabore par petites touches un vocabulaire que l’on saisit surtout par l’écart.
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Le parti de la complexité
Comme l’eau, la lumière ou le pétrole, le corpus de l’artiste glisse entre les doigts dès que l’on tente de s’en saisir. Il aurait été simple, pourtant, d’arrondir les angles, de gommer les saillies et de pouvoir alors apposer le tampon qui classerait le dossier : peintre abstraite iranienne.
Ce storytelling-là aurait été le plus facile, le plus vendeur également. A la galerie Balice Hertling cependant, la rétrospective qui lui est consacrée prend le parti de la complexité.
Entre Téhéran, Rome et Paris
Née en 1924 et disparue en 2009, Behjat Sadr naviguera successivement entre Téhéran, Rome et Paris. En 1956, elle expose à la Biennale de Venise dans l’exposition collective du Pavillon italien. A la fin de la décennie, elle commence à enseigner à l’université de Téhéran.
La France, elle y arrive par le biais d’une année sabbatique d’abord, en plein Mai 68, puis s’y installe définitivement à la fin des années 1980. En tant que peintre, Behjat Sadr n’est pas inconnue en France.
Le critique d’art Pierre Restany, de la même génération qu’elle et fer de lance du Nouveau Réalisme, se fendra d’un court texte sur sa pratique en 1990 où il évoque « les transparences infinies du souvenir » et « quelque chose d’insaisissable et de très profond ». Le dire, c’est ne pas dire grand-chose. C’est cependant reconnaître cette évidence : quelque chose échappe aux catégories et aux critères du jugement habituels.
L’incompréhension éprouvée est neutralisée
En 2014, à titre posthume, le musée d’Art moderne de la Ville de Paris l’inclut dans son exposition consacrée à la culture iranienne, Unedited History. Iran 1960-2014. Insensiblement, la réception de son travail se cimente : une pionnière de la modernité iranienne.
Ce récit-là, s’il atteste certes son importance, contribue également à maintenir en marge les artistes en question. L’incompréhension éprouvée est neutralisée. L’éloignement, et non l’invention, expliquerait les écarts stylistiques par rapport aux genres et aux mouvements connus.
Mélange des médiums et des périodes
Pour rendre complexité et mobilité à la production de Behjat Sadr, Daniele Balice, codirecteur de la galerie, et Cyrus Goberville, petit-fils de l’artiste, ont mêlé médiums et périodes.
Si les peintures abstraites ont été jusqu’ici les mieux reçues, c’est qu’elles rejoignaient l’histoire de l’abstraction occidentale. Ici, elles dialoguent avec un pan encore largement méconnu de son travail : les photocollages kaléidoscopiques et les photographies des années 1980, sublimes natures mortes de verres de bière, fleurs et fatras d’atelier.
Certainement les plus puissantes de son travail, on y lit le parcours éruptif d’une subjectivité singulière dont les formes reflètent l’exil existentiel autant que géographique – et non moins la lumière.
Behjat Sadr Du 5 avril au 1er juin, galerie Balice Hertling, Paris IIIe
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