Rattaché aux premiers élans de l’art urbain et de la figuration libre dans les années 1980, Speedy Graphito propose une riche rétrospective de son œuvre imprimée.
Alors que le personnage de Bob l’éponge coiffe le corps de la Joconde, un slogan s’affiche, provocateur : “art is a joke“. Depuis le début des années 80, Olivier Rizzo alias Speedy Graphito construit une œuvre protéiforme qui lui permet de jeter un regard malicieux sur son milieu : “je ne vais pas lutter contre le marché de l’art : il est plus fort que moi. Mais je vais m’en servir comme inspiration pour faire passer mes idées“. Un autre de ses slogans fétiches du moment, “eat art“, exprime ainsi la dérive commerciale dont est victime le street art, ce mouvement auquel on l’associe toujours par paresse. “Je me suis toujours battu contre ceux qui me considéraient comme graffeur. Encore plus maintenant quand je vois des jeunes street artists, même pas nés à l’époque où je commençais, me donner des leçons alors qu’ils sont enfermés dans des règles. Non, il n’y a pas de règles ! Quand j’avais 20 ans et un petit atelier dans lequel je devais peindre, j’avais simplement envie d’espace. La rue m’offrait ces grandes surfaces, je me servais des murs comme de vitrines. A la fin des années 80, il y a eu un tel engouement, un tel effet de saturation que ça n’avait plus de sens, pour moi, de continuer. Je suis parti sur d’autres réflexions et à la campagne“.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
C’est justement en pleine nature bourguignonne, dans le département de l’Yonne, que l’artiste français a conçu une riche rétrospective de son œuvre imprimée, augmentée d’inédits créés sur place. Depuis dix ans, Speedy Graphito fréquente assidûment la Métairie Bruyère, ancien corps de ferme transformé en un vaste centre d’art graphique par les éditions Robert Lydie Dutrou, à la fois haut lieu de l’impression et lieu d’exposition, fréquenté autant par Hervé Di Rosa, Ludovic Debeurme que Herman Düne. “Quand je suis passé la première fois“, se souvient Speedy, “on m’a donné des plaques de cuivres et j’ai aussitôt commencé à travailler sur des gravures. Ici, tout est possible, il n’y a pas de limite“.
Sérigraphies rehaussées à la main, lithographies grand format rendues uniques par d’ultimes touches de peinture ajoutées en plein air, dans la cour…à la Métairie, il a pu (re)construire son univers multiple où s’entrechoquent sa formation classique (son peintre préféré reste Géricault), personnages de comics empruntés à la culture pop et langage internet. “Quand j’étais gamin, je voulais illustrer les dictionnaires, représenter le monde en images. Quand j’inclus dans mon travail les codes internet, c’est parce qu’ils font partie de mon environnement. J’essaye toujours de décrire le monde dans lequel je vis. Et, comme celui-ci est en constante évolution, j’avance avec lui, j’essaye de survivre dans ce mouvement“.
Son inspiration, il la nourrit d’ailleurs dans les banques d’images, compilant celles qui résonnent en lui. “J’aime bien partir dans l’inconnu. A un moment, selon l’humeur, je vais faire ma sélection dans tout ce flux et assembler les images dans un collage, mais sans vraiment chercher s’il y a un sens. Je sais que l’œuvre est comme un boomerang, elle revient vers moi, je ne peux la signer que si je me reconnais dedans. C’est seulement avec le recul que je comprends combien mes tableaux sont liés à ma propre histoire. Souvent, ils sont liés à des obsessions de ma jeunesse, comme les carreaux, le pixel. Par exemple, je me suis rendu compte qu’à 16 ans, je peignais des salles de bains avec des carreaux. En fait, j’avais une sœur malade du cœur et, quand j’allais la voir à l’hôpital, le carrelage blanc m’obsédait“. Dans certaines lithographies créées à la Métairie Bruyère (Le secret, Printemps ou Seul au monde), on retrouve un pilier de son parcours, le personnage de Lapinture. Depuis plus de trente ans, cette créature anthropomorphique symbolise ses sentiments existentiels en lui servant de double. “Il est le lien avec mon obsession : comprendre ce qu’est la peinture. Quand je suis dans mon atelier, je suis face à un miroir, ma toile, dans lequel je me projette. Plutôt que mon reflet, c’est Lapinture que je vois“.
Vincent Brunner
Speedy Graphito rétrospective d’éditions d’art (1983-2017) La Métairie Bruyère Le Petit Arran 89240 Parly – du 18 juin au 24 septembre
{"type":"Banniere-Basse"}