Dans cette œuvre testamentaire, le dramaturge convoquait tous ceux qui avaient compté pour lui. Un chaos débordant d’énergie à retrouver au Théâtre de l’Odéon.
Le no mans’ land d’une aire de stationnement d’autoroute. Une cabine téléphonique désaffectée jouxte la carcasse désossée d’une épave sans roues reposant sur des parpaings. Clément Hervieu-Léger choisit le décor réaliste d’un parking désert pour mettre en scène Le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce. Métaphore d’un bout de la route, le lieu s’avère idéal pour réactiver les images des terrains d’aventure de l’enfance, celles des pique-niques improvisés en famille, et raviver avec la tombée du jour la mémoire des étreintes furtives auxquelles se livrent les amants d’un soir.
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Atteint du sida, Jean-Luc Lagarce se savait condamné. A la manière des peintres qui retravaillent leur toile, il a écrit un palimpseste avec Le Pays lointain (1995). Dans sa pièce Juste la fin du monde (1990), Louis, son héros et double, renoue avec sa famille pour lui annoncer l’inéluctable de sa disparition prochaine, sans au final y parvenir.
Un parking des anges où chacun a son mot à dire
Reprenant l’intégralité de Juste la fin du monde, Le Pays lointain est une version augmentée scène après scène des témoignages de ceux qui ont compté dans la vie de Louis. Dédiée aux deux familles qui fondent nos existences, la pièce réunit la biologique et celle qu’on se choisit en convoquant les vivants comme les morts.
Sous des lumières blanches dignes d’un purgatoire glacé, l’aire d’autoroute de Clément Hervieu-Léger se transforme rapidement en un parking des anges où chacun a son mot à dire sans crainte des conséquences à venir. On s’embrasse, on s’écharpe, on se dispute et se réconcilie dans l’instant puisque l’heure est à honorer l’humain et qu’il est ainsi fait. L’énergie pure de la vie débonde avec fureur dans le torrent d’une temporalité où il n’est plus question de faire de différence entre le passé et le présent.
Un jeu de la vérité qui ne va rien changer
Réunissant Nada Strancar (la Mère), Audrey Bonnet (Suzanne, la sœur de Louis), Guillaume Ravoire (Antoine, son frère) aux côtés de Vincent Dissez (Longue Date), Louis Berthélémy (l’Amant, mort déjà) et Daniel San Pedro (le Guerrier, tous les guerriers), pour ne citer qu’eux, Clément Hervieu-Léger transforme la partition de chacun en autant de solos d’exception.
Contemplant l’étalage de ses souvenirs déballés sur un trottoir comme lors d’un vide-grenier, Louis (Loïc Corbery) n’essaie plus de gérer la casse, il se contente d’en jouir avec délice, de se rassasier une dernière fois du chaos d’émotions que représente l’idée folle de revivre le film de sa vie.
Un jeu de la vérité qui lui fait dire qu’au final rien ne va peut-être changer avec son départ : “On m’aimait déjà vivant comme on voudrait m’aimer mort sans pouvoir et savoir jamais rien me dire. L’amour définitif, immobile et silencieux.” La grande force de la cérémonie des adieux orchestrée par Clément Hervieu-Léger est de témoigner de cette cruauté révélée comme d’un secret enfin partagé.
Le Pays lointain de Jean-Luc Lagarce, mise en scène Clément Hervieu-Léger, du 15 mars au 7 avril au théâtre de l’Odéon, Paris.
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