Rubrique hebdomadaire du 28 novembre au 6 décembre
Du théâtre d’anticipation, voilà ce qu’était la pièce du Catalan Sergi Belbel lorsqu’il écrivit Après la pluie en 1997, mis en scène aujourd’hui par Lilo Baur au Théâtre du Vieux-Colombier du 29 novembre au 7 janvier. Il imagine les salariés d’une entreprise grimper au 47e étage d’une tour de bureaux pour y fumer en catimini, provoquant des rencontres inusitées, à mille lieues de toute hiérarchie professionnelle. Aujourd’hui, il déclare : “J’ai écrit cette pièce à une époque radieuse. Il y a bientôt 25 ans. On commençait alors à interdire aux gens de fumer dans certains lieux publics, mais de façon bien moins stricte qu’aux Etats-Unis. Il m’est tout de suite apparu que cette interdiction deviendrait mondiale et je me suis alors demandé quel en serait l’impact sur le quotidien de ceux qui sont accros à la nicotine, comme je l’étais à l’époque. Angoisse. Hystérie. Pathos.”
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Bien sûr, l’interdiction de fumer n’est qu’un prétexte pour parler d’autres choses, “la bassesse, la mesquinerie et la misère qui caractérisent les rapports entre les individus lorsqu’ils cohabitent au sein d’un même espace, d’une même entreprise anonyme.” Alors, même si aujourd’hui, l’interdiction de fumer s’est généralisée, Lilo Baur a choisi de garder l’esprit d’anticipation voulu par l’auteur. Après la pluie se passe donc dans un futur proche et dans un décor où les couleurs pastel remplacent la teinture noire étant connue pour être la plus polluante. Quant à l’hystérie suscitée par le monde du travail, les tensions sociales, on s’en doute, elles aussi ont grimpé d’un cran en une génération…
Sa mise en scène de Vania avec les acteurs de la Comédie-Française l’an passé fut un succès, au point que le spectacle fut repris en début de saison. Avec Mélancolie(s), Julie Deliquet poursuit son exploration du théâtre de Tchekhov avec sa compagnie, le Collectif in vitro, dans le cadre du Festival d’Automne à Paris, au Théâtre de la Bastille, du 29 novembre au 22 décembre, puis du 8 au 12 janvier. Un peu des Trois Sœurs, beaucoup d’Ivanov et énormément d’improvisations de la part des huit comédiens. Dans cette “adaptation originale”, Julie Deliquet précise : “L’auteur sera à l’origine ; ce qui m’intéresse est le trajet que nous ferons pour aller jusqu’à lui. Mon point de départ fut : le théâtre et la société dans laquelle nous vivons. Et j’ai choisi Tchekhov pour guide… Mélancolie(s), c’est une mise en parallèle entre la disparition d’un monde et le destin brisé d’une poignée d’individus.”
A découvrir, toujours dans le cadre du festival d’Automne à Paris, El Otro du metteur en scène chilien Luis Guenel, à l’Espace Cardin, du 29 novembre au 9 décembre. Le spectacle s’inspire du livre de la photographe Paz Errázuriz et de l’auteure Damiela Eltit, L’Infarctus de l’âme, qui témoigne de ce qu’il advient de l’amour dans un hôpital psychiatrique. Avec sa troupe, le Teatro Nino Proletario, Luis Guenel a conçu un spectacle où les séquences se succèdent avec peu de mots mais avec une puissance visuelle rare. Pour lui, “ceux qui sont présents sur scène, ce sont justement ceux qui sont différents, ceux qui s’aiment, ceux qui veillent les uns sur les autres, ceux qui s’embrassent… L’amour comme utopie. Voilà pourquoi l’amour est dangereux pour le pouvoir : il réunit, il émeut, il est improductif. Et à cette époque, en 2012, alors que nous nous demandions où se logeait l’amour dans notre pays, nous l’avons trouvé à la marge de la société, littéralement enfermée dans un hôpital psychiatrique.”
A La Villette, deux immenses artistes sont réunis pour présenter dans le même espace une double installation. Celle, monumentale, Nowhere and Everywhere at the Same Time n°2, du chorégraphe William Forsythe et Test pattern du musicien et plasticien Ryoji Ikeda (du 1er au 31 décembre, Festival d’Automne à Paris). Ils avaient déjà collaboré en 2006 lors de l’installation Antipodes I/II de William Forsythe. La nouvelle proposition du chorégraphe s’inscrit dans la série de ses Choreographic Objects et fut créée dans un bâtiment abandonné de New York. Cette fois-ci, il invite le public à déambuler au milieu de centaines de pendules en mouvement permanent. Avec l’installation audio-visuelle Test pattern, Ryoji Ikeda propose un système capable de transformer n’importe quelle donnée – texte, photo, film ou son – en code-barres et plonge le visiteur dans un environnement hertzien qui se modifie sans cesse.
Jouer partout est un temps fort dédié à la jeunesse proposé par le Théâtre Dijon Bourgogne du 4 au 8 décembre. Il se compose de six spectacles présentés dans six lieux différents, dont trois lycées, et deux rencontres professionnelles. C’est de cette façon que Benoît Lambert, directeur du théâtre, fête les 70 ans de décentralisation culturelle : “Si la décentralisation est bien géographique, sociale et générationnelle, Jouer Partout, c’est amener le théâtre – les artistes, les auteurs, les poètes – à la rencontre de la jeunesse, là où elle vit, pour voir ce qu’elle fabrique et lui transmettre, peut-être, quelques outils. »
Au programme : Letzlove – Portraits(s) Foucault, texte de Michel Foucault et Thierry Voeltzel, adaptation et mise en scène Pierre Maillet, #Vérité, de Yann Métivier et Benjamin Villemagne, Inoxydables, une création du TDB de Julie Ménard et Maëlle Poesy, La Devise, de François Bégaudeau et Benoît Lambert, Qu’est-ce que le théâtre ?, de Hervé Blutsch et Benoît Lambert et Bienvenue dans l’espèce humaine, de Benoît Lambert.
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