Dans le domaine du Château La Coste, au Puy-Sainte-Réparade, dans les Bouches-du-Rhône, l’architecte Renzo Piano vient d’inaugurer un pavillon où s’exposent les photographies d’Hiroshi Sugimoto. Un bâtiment subtil qui complète la présence de grands architectes sur place, de Tadao Ando à Jean Nouvel.
A peine franchi le portail du Château La Coste, après avoir tourné dans les vignes et les sous-bois provençaux, une araignée géante nous accueille : la Crouching spider 6695 de Louise Bourgeois, une « araignée tapie » d’acier et de bronze, dont les pattes sortent du grand bassin d’eau dessiné par l’architecte japonais Tadao Ando.
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La puissance d’incarnation de l’araignée (installée peu de temps avant la mort de l’artiste, en 2010), exposée devant le centre d’art de Tadao Ando, saisit le visiteur étourdi par tant de beauté miroitante : entre la sauvagerie sublimée de la sculpture animale et la tranquillité des lignes pures d’un bâtiment minimaliste, aux baies transparentes, une parfaite harmonie esthétique se dégage. La joie, indexée à la contemplation de l’art, de l’eau et de la nature, de l’art dans l’eau et dans la nature, règne souverainement dans ce lieu à ciel ouvert, où d’autres surprises nous attendent.
Caché dans les vignes du pays d’Aix, sur la commune du Puy-Sainte-Réparade, au cœur d’un vignoble réputé de 200 hectares, le Château La Coste porte pourtant mal son nom pour au moins deux raisons ; beaucoup le confondent avec le château du marquis de Sade à Lacoste, pas très loin en remontant vers Avignon et en traversant le Luberon ; et surtout le château en question est en réalité un immense parc naturel au cœur duquel surgissent des bâtiments contemporains dessinés par des stars de l’architecture d’aujourd’hui : Tadao Ando, Frank Gehry, Jean Nouvel, Norman Foster, Richard Rodgers, et Renzo Piano.
Des dizaines d’œuvres dans un parc sublime
Plus encore : entre ces constructions prestigieuses, des dizaines d’œuvres de plasticiens sont disséminées dans le magnifique parc que l’on peut traverser en deux heures de marche : Alexander Calder, Liam Gillick, Andy Goldsworthy (sublime grotte), Jean-Michel Othoniel, Jean Prouvé, Richard Serra, Tom Shannon, Franz West, Lee Ufan, Sean Scully, Guggi, Trace Emin, ou même Michael Stipe, l’ex-chanteur de REM, devenu sculpteur, avec sept renards en bronze postés sous la futaie de La Coste, près des grandes lames d’acier de Richard Serra.
On est donc loin, ici, du folklore provençal ou de la nostalgie pour la vieille pierre hexagonale : plutôt qu’un ventre patrimonial de le Provence, le lieu se veut l’antre de la création artistique contemporaine. Certes, la prise de risque reste maîtrisée, tant le propriétaire irlandais du château La Coste, l’homme d’affaires Patrick Mckillen, amoureux du vin et collectionneur d’art contemporain, a fait venir des stars déjà consacrées de l’architecture, voire de l’art, comme avec l’actuelle exposition d’Ai Weiwei, Mountains and Seas : des pièces suspendues réalisées à partir des techniques traditionnelles du cerf-volant et mobilisant des références issues de la mythologie chinoise.
Le nouveau bâtiment, inauguré début mai par Renzo Piano au cœur du parc, se présente comme un emblème supplémentaire de cette attraction pour les valeurs sûres de l’architecture. Proche des créateurs, Patrick McKillen leur donne toute la liberté nécessaire pour concevoir leurs projets. Ainsi, Piano a été invité à explorer le domaine pour imaginer l’emplacement d’un nouvel espace d’exposition, un pavillon de la photographie, qui accueille pour son lancement le Japonais Hiroshi Sugimoto, déjà présent avec sa flèche d’acier Mathematical Model, sculpture fine exposée aussi dans le bassin du centre d’art à l’entrée.
Le jour de l’inauguration, Renzo Piano nous confiait qu’il pensait que ce pavillon ne se limiterait pas à la photographie, mais qu’il pourrait accueillir tout type d’exposition, y compris des concerts, tant l’espace, à la fois convivial et ouvert à la lumière environnante, s’y prête. La galerie de 160 m² bénéficie d’un magistral éclairage naturel, la surface restante, plus sombre, étant destinée à la conservation du vin.
C’est dans ces caves qui bordent de part et d’autre l’espace d’exposition, que Hiroshi Sugimoto a décidé d’exposer sa célèbre série de photos des Seascapes estimant que, à rebours de la lumière solaire de la galerie principale, la lumière opaque des couloirs parallèles s’appropriait mieux à la contemplation de ses images.
Un détournement de l’espace d’exposition qui semblait ne pas déranger du tout Piano, conscient que l’esthétique de Sugimoto nécessite un climat visuel à la mesure de la confusion du ciel et de la mer, dans une subtile variation de tons et de couleurs, du gris au noir.
Une architecture à la fois modeste et ambitieuse
Comme si, au fond, cette manière de déplacer la fonction de l’architecture, rappelait que les usages d’un bâtiment valent plus que les dessins conçus dans l’abstraction d’un atelier. Piano en avait l’air convaincu de jour-là, pas du tout fâché de cette réappropriation par Sugimoto de son bâtiment. C’est dans la plasticité et la mobilité pragmatique des espaces qu’une architecture prouve aussi sa pertinence.
Vieux routier de l’architecture depuis son premier bâtiment il y a quarante ans, le centre Georges Pompidou, dessiné avec son complice Richard Rodgers, Renzo Piano ne cesse de déployer à travers tous ses bâtiments une vision à la fois modeste et ambitieuse de l’architecture. Tous ses récents projets en témoignent, dans la variation même de leurs formes et de leurs fonctions : le futur palais de Justice à Paris, l’École normale supérieure (ENS) Cachan à Saclay, le campus de la Columbia University à New York, le centre culturel de la Fondation Stavros Niarchos à Athènes, le futur campus universitaire d’Amiens, le récent Whitney Museum de New York…
Ce qu’il aime surtout dans l’architecture, c’est qu’elle s’ajuste à l’idée d’un bien commun, d’un espace partagé par tous, où une émotion, individuelle et collective, peut surgir grâce à l’agencement d’un espace physique. Ce qui compte, c’est ce qui vibre dans son cœur en béton désarmé.
“Le plus important pour moi, c’est le partage“, nous dit-il, affirmant que seuls “la beauté, l’inattendu, l’inexplicable“ conditionnent le sens de son geste architectural. “La beauté, c’est plus qu’une simple question esthétique, c’est le plaisir de faire des choses ensemble“, insiste-t-il, paisiblement, avec une élégance du verbe qui prolonge celle avec laquelle ses bâtiments sont construits. Aujourd’hui encore, il se promène souvent dans Beaubourg, dont il se dit le “Quasimodo”, à force d’y traîner, comme s’il était chez lui.
L’entrée du pavillon, Stéphane Aboudaram | WE ARE CONTENT(S)
Pour ce pavillon à La Coste, il a d’abord exploré le parc, étudié la topographie du lieu, avant de s’attarder sur un chêne isolé. A partir de la présence presque magique de cet arbre, comme un repère cosmique, l’architecte a décidé de sculpter dans la terre un creux de six mètres de profondeur, afin d’inclure la construction dans le vignoble. “Par cette topologie semi-enterrée, le toit est recouvert d’une voile s’arrimant à de fines arches métalliques“, explique-t-il.
Si les façades et le toit sont en verre, le béton brut a été préféré pour les murs de soutènement et d’exposition. Cette association de matériaux bruts apparait sur le chemin qui mène au pavillon, dont la puissance tient à une évidente impression de légèreté ; un bâtiment à la fois sobre et sophistiqué, sans effet tapageur, où rien n’est souligné excessivement, mais où tout se laisse deviner, comme une ligne d’horizon derrière laquelle tout est possible.
Le pavillon, vu du ciel, Stéphane Aboudaram | WE ARE CONTENT(S)
Vidée ce jour-là de la présence attendue des photographies de Sugimoto, la galerie semblait paradoxalement embellie ; comme si elle se suffisait à elle-même, comme si le vide de l’espace conditionnait le plein d’un regard envoûté par les jeux de lumière, les reflets du soleil derrière la baie vitrée, la verdure des vignes en hauteur. Comme si l’architecture, outre d’abriter l’art, se fondait aussi en lui. Le luxe s’associe ici au calme, la volupté aux lignes pures, les contrastes de matières aux nuances de lumières. Avec Piano, l’architecture joue à la fois pianissimo et fortissimo.
Patrick Mckillen compte encore attirer d’autres grands architectes pour densifier encore plus la présence, dans son domaine enchanté, de bâtiments aussi subtils. Au Château La Coste, tous les rêves sont permis, autant que le temps est suspendu, simplement raccroché à l’exigence de délicatesse, à la fusion heureuse de l’art, de l’architecture et de la nature.
Jean-Marie Durand
Château La Coste, ouvert tous les jours de 10h00 à 19h00. Le pavillon de Photographie de Renzo Piano est inauguré jusqu’au 3 septembre 2017 avec l’exposition The Sea and the Mirror de l’artiste Hiroshi Sugimoto
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