Avec ses moulages et ses associations inattendues d’objets ordinaires, Liz Magor interroge notre rapport au réel le plus trivial. Le Mamac de Nice propose une rétrospective de cette œuvre incontournable.
Un immense tas de meubles, indices apparents d’un appartement vidé, trône au milieu de la grande salle du Mamac qui accueille l’artiste canadienne Liz Magor pour une rétrospective magistrale curatée par la directrice du musée, Hélène Guenin.
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Amassés à la manière d’un garde-meuble à ciel ouvert, boîtes en carton, vaisselles, chaises et canapés forment une installation (One Bedroom Apartment) aussi fragile que puissante, qui pose d’emblée l’imaginaire objectal de l’artiste installée à Vancouver : son attirance pour le prélèvement de choses ordinaires portant secrètement les souvenirs indicibles d’une vie.
https://www.youtube.com/watch?v=8yrPhzb-3rc
Esthétique de la détérioration
Accumuler, cacher, protéger, exhumer, repriser… Il y a dans les gestes répétés de Liz Magor un élan quasi magique pour embaumer la matière physique du quotidien, comme un engagement affectif porté vers des objets informes, voire infâmes : pierres, canettes de bière, paquets de cigarettes, petits animaux en peluche, couvertures en laine mitées (Phoenix), jouets d’enfants cabossés…
Cette esthétique de la détérioration, de l’obsolescence non programmée, indexée à des taches, des trous, des surfaces usées, contamine l’œuvre de Liz Magor structurée par la générosité d’un geste réparateur : repriser, recoudre, lustrer, conserver, sortir de l’oubli des objets prêts à être jetés, des rebuts sauvés par la grâce d’un regard bienveillant.
Réparer les vivants, c’est aussi prendre soin des objets qui les accompagnent. Hélène Guenin parle d’une éthique du “care” en évoquant l’œuvre majeure de Magor, comme si le concept de bienveillance en vogue dans le champ des sciences sociales trouvait aussi une traduction dans l’acte artistique.
“J’utilise ces objets négligés, et comme avec les petits animaux, j’essaie de déterminer les critères qui sont à l’origine du désir de se les procurer”
La beauté indicible d’un objet ne procède pas directement de sa désuétude ; c’est sa désuétude qui nourrit la volonté d’en conserver les mystères passés, et donc leur beauté oubliée.
“Les objets qui m’intéressent sont ceux qui passent inaperçus, qui restent discrets, sans importance, ordinaires, explique Liz Magor. J’utilise donc ces objets négligés, et comme avec les petits animaux, j’essaie de déterminer les critères de qualité qui sont à l’origine de leur production et du désir de se les procurer. Ce processus de mise en valeur a pour effet de les tirer légèrement de l’ordinaire et de les amener vers l’extraordinaire.”
Produite entre 1989 et aujourd’hui, la cinquantaine d’œuvres qu’expose le Mamac impressionne à la fois par sa cohérence sur la durée et la délicatesse des traits. L’apparente trivialité des pièces traduit une énergie créatrice sidérante, ne serait-ce que dans le soin mis dans les sculptures conduisant à une esthétique du simulacre.
Entre le réel et le simulacre, le regard oscille sans cesse
Beaucoup entremêlent des objets réels et des objets créés en atelier, selon une technique du moulage en gypse polymérisé, créant des effets d’illusion et de confusion, à l’image des bouteilles de gin cachées sous des fausses serviettes de bain pliées en moulage (Double Cabinet (Blue)), des paquets de cigarettes stockés sous des imitations de vêtements et chaussures (Carton II), ou des assiettes sales et bouteilles d’alcool entassées sous lesquelles s’incruste un rat recroquevillé (Stack of Trays)…
Ou même des friandises au fromage dissimulées sous un amas de pierres en gypse (sublime sculpture, Chee-to). Entre le réel et le simulacre, le regard oscille sans cesse, pris dans le vertige d’un mode de représentation qui privilégie plus le sentiment d’émerveillement que la recherche de la véracité des choses.
Ce que Liz Magor consacre, de manière mineure en apparence, c’est la rencontre majeure des choses et des êtres, qui se tiennent et s’attirent, jouent entre eux et se protègent, dans une sorte d’unité cosmique où les animaux et les objets participent du même monde : un monde qui résiste à son propre effacement, un monde dont les restes se transforment en éclats de vie.
Rétrospective Liz Magor Jusqu’au 13 mai, Mamac (Nice)
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