Près de Mons, en Belgique, l’exposition collective Rebel Rebel explore les multiples voies de l’art contemporain dans lesquelles s’engouffre l’esprit rock depuis les années 1960. Electrique et extatique.
Si, avec sa grosse banane pour le Velvet, Andy Warhol fut le premier artiste à consacrer l’union magique de l’art et du rock, et si d’autres artistes ont depuis prolongé l’histoire (Raymond Pettibon et Black Flag, Richard Kern, Mike Kelley et Sonic Youth, Tony Oursler et David Bowie…), le rock n’a secrètement jamais cessé de hanter une grande partie des œuvres artistiques.
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C’est ce lien à la fois direct et tordu qu’interroge l’exposition Rebel Rebel art + rock au MAC’s, sublime musée des Arts contemporains au Grand-Hornu, érigé sur les ruines d’un ancien complexe industriel de charbonnage près de Mons, en Belgique.
Le spectre de Bowie
Si le spectre de David Bowie flotte dans l’exposition, au-delà de son titre même – Rebel Rebel, chanson de l’album Diamond Dogs –, d’autres fantômes de figures du rock récemment disparues, d’Alan Vega à Prince, l’accompagnent, au fil de traces éparses (des sculptures de crucifix réalisées par l’ancien chanteur de Suicide, un portrait du Kid de Minneapolis par Damien de Lepeleire).
Mais ce rappel de morts illustres et si proches s’opère moins de manière frontale qu’oblique. Car la légende qui s’imprime ici est moins celle de la contemplation de fétiches des stars du rock que celle de l’esprit qui les encadre.
Comment l’art contemporain se nourrit d’une culture populaire qui est “le miroir de notre époque”
L’exposition proposée par le directeur du MAC’s, Denis Gielen, s’écarte radicalement du modèle paresseux d’une exposition illustrative sur le rock. Il n’y a ici aucune relique à contempler comme “les lunettes de John Lennon ou la guitare électrique de Jimi Hendrix”, précise le commissaire, préférant se pencher sur les multiples façons dont l’art contemporain hérite de la culture rock dans son propre langage depuis des décennies. Comment, au fond, l’art contemporain se nourrit d’une culture populaire qui, comme la science-fiction, objet d’une précédente exposition, est “le miroir de notre époque”.
Pensé autour de plusieurs motifs fondamentaux du rock – sa dimension sonore et bruitiste, son aspect théâtral, sa valeur politique, contestatrice de l’ordre établi –, le parcours dans les salles du musée se déploie parmi des œuvres d’artistes aussi divers que Douglas Gordon, Tony Oursler, Catherine Sullivan, Christian Marclay, Raymond Pettibon, Allen Ruppersberg, Daniel Johnston, Jonathan Monk, Dennis Oppenheim…
Culture de toutes les libérations
De la vidéo au dessin, de la photo à la peinture, de l’installation à la sculpture, tous les médiums servent un récit happé par l’énergie subversive du rock, de l’adolescence qui s’en nourrit, sur une forme d’attitude “rebelle” à l’égard du monde dominant. Mais aussi par la folklorisation de sa propre culture et l’entretien de ses codes fétichisés jusqu’à l’absurde, comme dans une hilarante vidéo de l’artiste et musicien belge Dennis Tyfus parodiant les postures stéréotypées d’un DJ ressemblant à David Guetta.
Le parcours est scandé par les extraits du film mythique de Dan Graham, Rock My Religion, réalisé en 1983, dans lequel l’artiste américain tisse un lien entre trois communautés qui ont historiquement pratiqué la danse extatique pour se libérer d’une forme d’oppression : les shakers engagés contre le capitalisme industriel, les Sioux révoltés contre le colonialisme et les rockeurs survoltés contre le conformisme familial.
Culture de toutes les libérations, le rock, tel qu’il inspire ici les artistes, a la valeur de ce que la philosophe Marielle Macé nomme, dans son essai Styles – Critique de nos formes de vie, un “style”, une manière de vivre dans laquelle le sujet s’engage pleinement et donne à voir ce qu’il est et ce à quoi il croit ou ne croit plus (le futur pour les punks, par exemple).
Fétichisation du disque
Le rock n’échappe pas non plus à la culture de consommation qui a conditionné son triomphe. L’impressionnante œuvre de Jacques André, Arters, acronyme d’“Achats à répétition, Tentative d’épuisement, Reconstitution des stocks”, présentant, dans un geste aussi warholien que perequien, un mur géant de disques (Moondog, Iggy Pop, Kraftwerk…) rangés en ligne, nous renvoie à notre propre fétichisation de l’objet disque et à la place centrale qu’il occupe dans l’imaginaire culturel et marchand.
De pièce en pièce, toujours surprenante, Rebel Rebel déplace intelligemment le sens de l’affinité élective entre le champ artistique et le champ du rock pour mettre en lumière une affinité électrique entre eux : une fatale attraction de l’un pour l’autre, conduisant à l’absorption de l’esprit rock, réel ou fantasmé, dans les objets de l’art.
D’une scène électrique à un moment plus doux, contemplatif, proche de l’idolâtrie religieuse
Le cheminement conduit progressivement d’une scène électrique, incarnée par des œuvres célébrant l’amplification, l’accélération, le bruit et la révolte (de Jean-Michel Alberola à Alan Vega, de Joris Van de Moortel à Gilles Elie Cohen…), à un moment plus doux, contemplatif, proche de l’idolâtrie religieuse, comme dans la vidéo silencieuse d’Angelica Mesiti, Rapture (Silent Anthem), consignant des visages d’adolescents filmés en plan serré et au ralenti pendant un concert, ou la vidéo, au ralenti aussi, de Douglas Gordon, Bootleg (Cramped), utilisant des enregistrements pirates des concerts des Cramps.
Comme si le rock imprégnant l’art se déployait à la fois dans une électrification de la vie et une rêverie extatique, dans la vie et hors d’elle, en elle et contre elle.
Rebel Rebel art + rock jusqu’au 22 janvier au MAC’s, musée des Arts contemporains, site du Grand-Hornu, Belgique
catalogue Rebel Rebel art + rock par Denis Gielen, préface Jeff Rian (éditions MAC’s, Grand-Hornu et Fonds Mercator), 304 pages, 39,95 €
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