Sur les traces des vestiges du site archéologique de Tell Halaf en Syrie, avec “Fragments”, l’artiste Rayyane Tabet prend le parti de l’œuvre ouverte contre celui de la préservation aveugle.
Reconstruire à l’identique ou en apportant la marque de l’époque ? Cette question éminemment actuelle, Rayyane Tabet ne se la pose pas. “Notre époque nourrit une obsession pour l’objet complet”, remarque-t-il à propos de son exposition qui vient d’ouvrir au Carré d’art à Nîmes.
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Entre préservation et esthétique de la ruine
Celle-ci esquive élégamment l’opposition entre préservation et esthétique de la ruine. “A force de fréquenter des archéologues pour le projet, j’ai pris conscience de la richesse du fragment. A partir de lui, il devient possible de penser différemment, de distinguer des moments multiples, d’accepter la pluralité et d’accéder à une vision beaucoup plus élastique du temps.” Fragments, titre de la proposition, prend le parti de la béance.
Les traces de l’histoire ne sont pas les pièces d’un puzzle à partir desquelles il faudrait reconstituer un objet ni une vérité pleine, dressée, monolithique. Elles constituent plutôt les points d’accroche d’où se multiplient les récits fictionnels.
Chez Rayyane Tabet, l’écriture de l’histoire se confond avec celle du roman familial. Tout commence – pour reprendre la posture du conteur qu’embrasse l’artiste – par sa découverte de menus documents, des cartes postales et un livre, attestant de la rencontre entre son arrière-grand-père libanais et un diplomate allemand à Beyrouth.
Les vestiges mis au jour, dispersés et pulvérisés
En 1929, le premier, Faek Borkhoche, professeur d’école et traducteur, se voit affecté au service du second, Max von Oppenheim, afin de l’assister lors des fouilles entreprises dans le village de Tell Halaf en Syrie. Dans cette zone au contexte géopolitique complexe alors sous l’occupation britannique et française, les vestiges mis au jour sont dispersés.
Une partie est envoyée en France, une autre forme la collection du futur musée d’Alep en Syrie, tandis qu’une troisième est emmenée à Berlin par Von Oppenheim. Celui-ci tentera en vain de placer ses trouvailles au musée de Pergame avant de construire son propre lieu d’exposition.
Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Durant la Seconde Guerre mondiale, son musée est détruit et les vestiges, pulvérisés. Ironie du sort, le Pergamon Museum acceptera enfin de les stocker dans ses réserves et tentera même de les restaurer. Tout ce chemin, l’artiste le parcourt à son tour, sur la trace d’un site désormais réduit à l’état de miettes éparpillées aux quatre coins du monde.
La production d’une nouvelle narration
A Nîmes, il en résulte une exposition en sept installations et un livre de la main de l’artiste, conçu comme une performance à activer.
Frottages au fusain sur papier des vestiges réalisés dans les musées où Tabet s’est rendu, arbre généalogique matérialisé à partir d’un tapis bédouin divisé à chaque génération ou installation de moulages d’une statue brisée, magnifiés chacun comme une sculpture à part entière, déclinent autant de manières possibles de repositionner ces vestiges matériels au sein d’une nouvelle narration.
Forcément subjective, celle-ci n’est ni vraie ni fausse, mais permet, parce qu’elle ne sera jamais complète, d’éviter la production de récits hégémoniques.
Rayyane Tabet. Fragments Jusqu’au 22 septembre au Carré d’art, Nîmes
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