Directeur de Chaillot, Théâtre national de la danse, Rachid Ouramdane a initié, avec Chaillot Expérience, des rendez-vous transversaux. Entretien.
Chaillot Expérience est un des temps forts de votre direction artistique. Quel en est le principe ?
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Rachid Ouramdane – J’ai essayé, avec Chaillot Expérience, de réunir ce que j’ai appris de la danse. L’idée qui sous-tend ces rendez-vous serait de pouvoir être spectateur de l’imaginaire des autres. Et surtout d’éprouver le mouvement en le pratiquant. En participant à un Chaillot Expérience, chacun peut se confronter à d’autres récits parce que la danse déborde. On y rencontre des penseurs, on y croise des artistes et on finit par faire la fête, et ce dans un même espace. Je crois qu’une maison de danse n’est pas seulement une maison de programmation. Elle se doit avant tout de permettre l’expérimentation, surtout lorsqu’elle est, comme Chaillot, héritière de cent ans d’histoire de démocratisation culturelle.
Vous voulez souligner le fait que les arts chorégraphiques cherchent encore leur place ?
Alors que la danse est dans le quotidien de beaucoup, on ne lui donne pas forcément la place qu’elle mérite. À l’heure de ce grand combat pour la liberté des corps, il faut la mettre en débat. Regardez ce que fait une activiste comme Camille Étienne, accueillie à Chaillot d’ailleurs, qui “danse” dans les manifestations. Elle y trouve une autre forme de résistance en quelque sorte. L’idée n’est pas tant d’offrir une grille de lecture, mais de créer des relais de complicité. La danse, le plus souvent parce qu’elle est abstraite, ne peut s’appuyer sur ce qu’elle raconte. Et, dans nos sociétés eurocentrées, on est bien plus habitué à suivre une histoire. À nous de faire comprendre à la société ce qu’elle peut trouver dans la danse.
Votre prochain Chaillot Expérience, titré Imaginaires en archipel, conjugue voguing et présence ultra-marine.
Ce qui m’a amené à la danse, c’est une contre-culture de rue, le hip-hop des années 1980. Même si je m’en suis, par la suite, éloigné. Je souhaite que Chaillot soit l’endroit de toutes les danses et de toutes les pratiques. Le hip-hop, les danses électros, le voguing aujourd’hui, et demain le dancehall ou la K-pop. Un lieu de partage pour les communautés dans des espaces safe. Le voguing fait partie de ce champ de la culture queer. On voit bien qu’il a imprégné d’autres univers, de Madonna, qui le récupère, au chorégraphe contemporain Trajal Harrell. On propose à Chaillot une sortie de résidence de Lasseindra Ninja, figures du voguing, aussi bien qu’une performance d’Annabel Guérédrat sans oublier une rencontre avec Patrick Chamoiseau. Et un bal dans les règles de l’art, le Major Ball Voguing initié par Yanou Ninja. J’essaye de faire de ce théâtre un lieu très horizontal entre les pratiques, les courants et la représentation de la danse.
La place du voguing, né dans l’underground Lgbtqia+, est-elle au théâtre ? N’y a-t-il pas un risque de récupération ?
On est sur une ligne de crête entre massification et émancipation à travers certaines cultures. C’est là où une institution nationale se doit d’agir à mon avis. Que voulons-nous dès lors ? Je crois qu’il s’agit de rassembler autour d’une qualité du sensible. Pour ma part, j’ai une position très claire sur l’appropriation culturelle. Attention néanmoins à ne pas basculer dans l’assignation identitaire. Je viens d’une culture du métissage, du syncrétisme. Les préjugés, les assignations, j’ai connu. Je peux m’appeler Rachid Ouramdane et être passionné de mises en scène japonaises et d’un travail autour du vide. Ce goût pour la connaissance, pour l’interculturalité, je le revendique. Il faut donc faire attention lorsque des personnes brandissent l’appropriation culturelle. Il y a détournements lorsque l’on se met à amoindrir la référence ; cela va dépendre de comment vous le faites, à quel endroit de recherche, d’accompagnement, de célébrations d’un courant artistique vous vous trouvez. Sans oublier la mise en avant des personnes concernées. Certaines curiosités sont constructives, d’autres ne sont que de la récupération.
Vous observez des mutations dans les compagnies actuelles ?
Je reviens de répétitions avec les interprètes du Ballet du Grand Théâtre de Genève ; je vois bien que j’ai sous les yeux des danseurs de 20 ans avec un certain bagage académique. Néanmoins, ils ont grandi avec ces danses que sont l’électro ou le voguing, souvent liées à la fête. Un danseur de ballet peut vous passer une coupole hip-hop (où le corps décolle et fait une rotation de 360 ° NDLR) les doigts dans le nez ! Cela aurait été une sorte d’hérésie, il y a vingt ou trente ans. On ne peut pas échapper à ce que nos parcours de vie nous enseignent en plus de nos parcours de formation artistique. Que ces mélanges puissent avoir lieu, je trouve cela plutôt réjouissant. Mais, cela ne soit pas se faire au détriment de la communauté.
Être directeur d’une institution est chronophage. Quelle place cela laisse-t-il au chorégraphe que vous êtes ?
La machine du théâtre peut en effet broyer. On devient par la force des choses un petit “entrepreneur”, gestionnaire autant que pédagogue. Avec des journées commençant à 6 heures du matin et se terminant après minuit pour rattraper le décalage horaire. C’est surtout un travail d’équipe. Pourtant, je n’ai jamais passé autant de temps en studio à répéter et créer. Joli paradoxe.
Votre projet phare, Möbius Morphosis, s’inscrit dans le cadre de l’Olympiade culturelle.
Il s’agit de revisiter la pièce Möbius créée avec et pour la Compagnie XY. Je reprends ce travail sur la murmuration propre aux oiseaux, comme un bourdonnement chorégraphique que je développe depuis un moment. On aura une centaine de personnes au plateau puisque s’ajoutent à la trentaine de membres de XY, les danseurs du Ballet de l’Opéra de Lyon et la Maîtrise de Radio France à Bondy.
Jean-Benoît Dunckel, moitié d’Air, en signe la bande-son.
Il y avait en effet un enjeu musical lié aux voix de ces jeunes chanteurs avec l’idée d’un continuum de gestes et de musique. Il me semblait que l’électro savante de Jean-Benoît était idéale.
Dans une société troublée, que peut encore un créateur ?
Les artistes, de nos jours, peuvent apporter de la nuance. Et aider à appréhender la complexité, contrairement aux idées simplistes des extrémistes. J’aime l’idée d’un théâtre de la diversité, de l’hospitalité. On doit continuer, sans condescendance, à accueillir toute ce qui est différent, quelle que soit l’équation financière ou politique. Il faut savoir accompagner l’autre.
Chaillot Expérience #6, Les 15 et 16 mars, Théâtre national de la danse, Paris.
Möbius Morphosis, Festival les Nuits de Fourvière Lyon, les 2 et 3 juillet, dans le cadre d’Annecy paysages organisé par Bonlieu Scène nationale le 9 juillet et à la Nef du Panthéon, Paris du 16 au 18 juillet. Le spectacle sera également diffusé sur Culture Box le 23 juillet.
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