Un « Black Mirror » français sur Netflix, une série d’auteur signée Dominik Moll, le retour réussi de Fabrice Gobert après « Les revenants » : une moisson française inégale pour le festival de Séries qui s’est ouvert à Lille le week-end dernier.
Le grand amour des séries françaises est-il pour aujourd’hui ? C’est la question à laquelle le festival Séries Mania (dont la deuxième édition lilloise se déroule jusqu’à samedi) tente de répondre en proposant une bonne douzaine de productions censées incarner les progrès de la fiction d’ici. En attendant notamment la troisième et dernière saison de la chouchoute Irresponsable (OCS) et Une île (Arte), intrigante relecture du mythe des sirènes, programmées en milieu de semaine, les premiers jours ont posé les jalons les plus attendus. Après les très décevantes Marseille et Plan Cœur, la troisième série française commandée par Netflix était projetée en avant-première.
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Osmosis (compétition française) imagine une dystopie où une application permet de trouver l’âme sœur. Dans un monde de solitudes, pourquoi pas ? Un test est lancé, une douzaine de participants accepte de se faire implanter une puce dans le cerveau qui mesure les émotions et les mène à la personne idéale en vue du grand amour. L’accroche est séduisante et quelques cas intéressent : une intello en surpoids qui matche avec un coach sportif, et surtout, un jeune homme très installé dans la vie avec son mec, dont l’âme sœur n’est autre que son plan cul… Malheureusement, n’est pas Black Mirror qui veut. Le premier épisode passé, Osmosis s’éparpille entre plusieurs intrigues (la relation frère-sœur des créateurs de l’appli, avec leur mère dans le coma ; les parcours des cobayes, etc…) et ne tient pas vraiment ses sujets, notamment autour de la surveillance et du consentement dans une société numérisée. Peut-être le résultat des coulisses agitées de la production, qui ont vu la créatrice Audrey Fouché (qui s’est inspirée d’une websérie d’Arte) quitter le navire en cours de route.
Une série en prise avec l’Europe d’aujourd’hui
Loin de l’imaginaire SF, Eden (Arte, compétition internationale) plonge dans la réalité européenne contemporaine. Réalisateur entre autres de Harry, un ami qui vous veut du bien (2000) et bientôt Seules les bêtes au cinéma, Dominik Moll a pris les rênes de ce récit choral qui nous mène de Grèce au Liban, en passant par l’Allemagne. Alors qu’une famille allemande déguste des glaces sur la plage, un canot de migrants débarque. Dès qu’ils foulent le sol de l’île grecque, ils se mettent à courir. Parmi eux, deux frères atterrissent dans un camp de réfugiés tenu par une entreprise privée, dirigé par une quadra (Sylvie Testud) partie en Allemagne pour lever des fonds. Les migrants sont-ils des marchandises comme les autres ? Dans ses deux premiers volets, Eden tente de capter la complexité des flux migratoires, au niveau macro et à celui des familles. Le personnel devient politique, et les enjeux géopolitiques se jouent dans l’intime. Mais dans ces mouvements incessants entre les pays et les individus, quelque chose finit par nous semer, à force de clichés – le fils Allemand se rebellant contre ses parents accueillant un immigré, par exemple. Eden devra s’épanouir sur la longueur (six épisodes) pour convaincre. On la verra sur Arte les 2 et 9 mai.
Le retour réussi de Fabrice Gobert à la série
La vraie bonne surprise française est venue lundi soir avec Mytho (Arte, compétition internationale) qui marque le grand retour de Fabrice Gobert aux séries, quatre ans après la fin des Revenants. Écrite par Anne Berest (romancière et scénariste de Paris etc.), cette comédie dramatique se penche sur la figure de la desperate housewife dans la France pavillonnaire. Un décor qui obsède le réalisateur (son premier film Simon Werner a disparu se déroulait en grande banlieue) et dont il fait ici un prétexte comique et néanmoins hanté. Tout commence quand Elvira (Marina Hands) croule sous la charge mentale. Mère de trois enfants, travaillant à plein temps, elle est délaissée par son mari loser (Mathieu Demy) qui la trompe. Après une soirée encore plus dure que les autres, elle décide de mentir à son mari en prétendant souffrir d’un cancer du sein. Bientôt, toute la famille est au courant.
Au départ, Elvira est dépassée par tout ce qui lui arrive dans la vie, même l’invention de cette maladie. Mais dans les deux premiers épisodes que nous avons pu voir, elle entame une mutation pour prendre une certaine assurance. La touche Gobert, faite de cadres stylisés, accentue l’inquiétant familier de ce qui se déroule dans l’imaginaire soudain déployé de cette mère paumée, et fait exister plus que dans n’importe quelle fiction sociale française classique un univers pesant, fait de rues trop droites et de supermarchés immenses. A la fois incarnée et légère, Mytho ne cesse de surprendre au-delà de son programme de base, s’autorisant ici une parenthèse (en)chantée sur Stand By Me, là une demande en mariage loufoque en public. Le plaisir de faire une série et de jouer avec les codes transpire de toutes les scènes, une joie assez rare en France pour être signalée. Enfin, Mytho se pose des questions sur les représentations et ce que veut dire une série familiale aujourd’hui, en mettant en avant – même timidement – des personnages non blancs (l’amante, notamment, jouée par Linh Dan Pham) et en jouant sur la question du genre à travers l’un des enfants du couple, née garçon, qui demande à être appelée leur fille. Dans Osmosis, même constat : des corps jusqu’à maintenant absents de nos écrans hexagonaux émergent. Il était temps.
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