Autour de la culture club et du corps collectif, porté par une jeune scène tchèque qui redonne confiance dans la jeune création contemporaine, le festival réveille les murs de la vénérable institution – et c’est gratuit !
Le jeudi 6 octobre 2022, jour de l’inauguration de la 6e édition du festival Move, un remous de foule vient tordre le flux habituel de circulation réglée du Centre Pompidou. Une jeunesse flamboyante se presse frénétiquement, tendue d’anticipation et convergeant à l’unisson vers un point encore masqué.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Le cap est mis sur le 5e étage, celui des collections permanentes, prenant quelque peu de court les habituels quidams venu·es adopter le recueillement grave qui sied aux chefs-d’œuvre conservés et validés par la vénérable institution.
Là, une performance prend place, annoncée par ses marqueurs contemporains : foule au bras “ensmartphoné” levé, presque un signe de ralliement en soi. Un air de déjà vu, à Paris, avec la performance, il y a un an tout pile, de l’Allemande Anne Imhof, dont les hordes post-Berghain étaient venues recomposer des saynètes dans les espaces de sa carte blanche Nature Morte.
Transe collective au musée
Ici, il s’agit d’un geste similaire, mais décalé, déplacé : Lukáš Hofmann, artiste et commissaire d’exposition pragois, pas encore 30 ans, donne le coup d’envoi de sa performance Incarnate. Entouré de cinq autres interprètes de ses tableaux vivants, il redonne du corps, un corps contemporain, communautaire et hanté de relents archaïques mystiques ou peut-être simplement éternels.
Réveillant d’abord les statues des collections – palpées, caressées, enlacées – avant de rejoindre les espaces du festival, les protagonistes, comme en transe, retrouvent ensuite les installations de la place centrale au sous-sol, lieu de l’exposition du festival et d’une activation performée déclinée en cycle hebdomadaire.
Là se trouvent d’autres sculptures, des éléments d’une architecture mutante signée de l’artiste, d’emblée conçus en vue de leur activation ponctuelle : arche verte, totem opale et toute une série de “pipes à crack”, des tubes de verre venant aider, soutenir ou se substituer à la respiration naturelle.
La jeune scène tchèque à l’honneur
“Lukáš Hofmann, tout comme Esben Weile Kjær [présenté la semaine du 20 octobre], participe de la génération post-Anne Imhof de la performance. Chez eux, la mode, les réseaux sociaux ou la forme du défilé de mode sont également rejoués, mais de manière beaucoup plus décomplexée”, explique Caroline Ferreira.
La curatrice du festival, rendez-vous annuel du Centre Pompidou depuis six ans, a cette fois-ci orienté la manifestation dédiée à la jeune création, internationale et désobéissante, vers un co-commissariat avec Michal Novotný, directeur des collections de la Galerie nationale de Prague, à l’occasion de la présidence française puis tchèque du Conseil de l’Union européenne.
Au sein de l’exposition, la jeune scène tchèque est mise à l’honneur et mêlée à d’autres artistes invités à répondre en écho à la thématique annuelle. Soit une attention au corps collectif, celui qui, de manière contextuelle et repensée, prolonge l’intimité parfois trop simplement arrimée à sa revendication de liberté individuelle.
Venant s’y substituer comme un horizon à reconquérir, le collectif d’une communauté choisie mais également de ses alentours prédateurs est positionné dans toute son ambiguïté incarnée. “Si l’être ensemble, dans les clubs par exemple, est un refuge, se trouve en contrepoint la dangerosité de la densité de la foule. Je pense à la dangerosité d’un petit mouvement qui se répercute, à l’instar de ce qui s’est passé à la Love Parade de Düsseldorf en 2010, où une vingtaine de personnes sont mortes par suffocation. Je me suis notamment basée sur les réflexions du chercheur Mehdi Moussaïd, auteur du livre Fouloscopie : ce que la foule dit de nous (2019)”, recontextualise la commissaire.
Résolument irrécupérables
Move. Culture Club – Corps collectifs se décline cette année en cinq moments de performance dans le forum, accompagnés d’un nouveau display central (après Lukáš Hofmann, ce seront Julia Grybós & Barbora Zentkova, Cally Spooner et Esben Weile Kjær). L’exposition, elle, réunit quatre environnements d’installations, souvent augmentés de vidéos : l’opéra-vidéo vampirique de Lukáš Hofmann, les tentures de coton teintées d’herbes aux propriétés apaisantes de Barbora Zentková & Julia Gryboś, la caverne éco-futuriste matricielle de Marie Tučková et enfin, peut-être la proposition la plus aboutie, le torpillage des campagnes de self-care, d’une absurdité anti-patriarcale et antispéciste et d’une ironie mordante, signé Daniela & Linda Dostálková.
Il faudrait encore ajouter un programme de performances en salle, où l’on retrouvera notamment Anna Daučíková, Mona Varichon ou Tarek Lakhrissi, pour parfaire le panorama d’une jeune création qui, au marronnier de l’identité réifiée récupéré par un grand nombre d’institutions, oppose comme contre-point l’instabilité, l’informe, l’incandescence et la construction d’alternatives autonomes, irrécupérables et résolument inidentifiables.
Des fictions opérantes, miroir déformant tendu aux rouages sociétaux à partir desquels se développe un vocabulaire visuel proliférant, à la fois immédiatement séduisant et qui sous-tend une ironie acerbe : de quoi donner du fil à retordre aux prophètes d’une fin de l’histoire ou d’une fin de l’art. La jeune création, Move le démontre par un travail de prospection nécessaire, ne se porte vraiment pas si mal.
Move. Culture Club – Corps collectifs. 6e édition du festival de danse, performance, film et vidéo, du 6 au 23 octobre au Centre Pompidou (niveau -1, gratuit).
{"type":"Banniere-Basse"}